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Fanfiction Divergente 4 - Résurgence, Chapitre 44

CHAPITRE QUARANTE-QUATRE

  • Nous n’avons jamais réussi à ouvrir ce bâtiment, cela fait des générations qu’il est fermé, et chacun son tour, tout le monde a essayé. Il y a un avertissement sur le bâtiment. Il menace d’une inondation majeure de la région toute entière si la porte est forcée ou détruite, explique John. De plus, ce bunker fournit l’électricité de la ville, personne n’a jamais voulu prendre le risque, et je vous demande de ne pas le faire non plus.

  • Nous ne ferons rien qui puisse vous nuire, assure Tobias. Pouvez-vous me parler du barrage ?

  • C’est un champ de force magnétique colossal. Des décrochements permettent le déversement du trop plein du lac Huron de l’autre côté, dans le lac Michigan. Sous la surface du lac bas, entre chaque cascade, il y a une sorte de gros tourbillon, de vortex, à travers le barrage, pour le passage des poissons et le mélange des eaux. La moitié dans le sens Huron Michigan, l’autre moitié dans l’autre sens. Le courant y est très fort. Un homme ne pourrait pas passer à travers, mais y serait aspiré et aurait beaucoup de difficulté à s’en extirper. C’est très dangereux.

  • Peut-on emprunter le pont ? demande Tobias.

  • Oui, cela nous arrive. Il y a un village de l’autre côté, avec lequel nous commerçons un peu, mais assez loin dans les terres. Ils se sont installés au bord du lac Paradis. Des histoires racontent qu’un jour, le barrage cessera de fonctionner. Dans ce village, on se transmet la peur d’une inondation majeure, alors ils se sont retirés à l’intérieur des terres.

  • Le lac a été asséché dans une immense partie de ses rives sud et Est notamment. Egalement sur les côtes Est peu profondes. L’objectif était d’éloigner certaines villes du bord de lac pour enfermer les habitants dans un gigantesque mur d’enceinte. Mais c’est un désastre économique, écologique et climatique. Nous sommes venus voir comment les fondateurs de nos cités fermées ont pu assécher le lac et s’il était possible de renverser le phénomène.

  • Quelles conséquences pour nous si vous y arrivez ? demande John, inquiet. Nous vous sommes reconnaissants mais nous ne pouvons pas vous laisser nous mettre en danger.

  • Nous ne ferons rien qui vous mette en danger, rassure Tris fermement.

Mark et Christina sont partis de leur côté pour chasser. Tout en discutant, les trois autres membres de l’équipe se laissent guider par leur hôte à travers les petites ruelles de Saint-Ignace. Au pied de l’édifice cubique abritant sans aucun doute le centre de contrôle du barrage, le groupe s’arrête pour observer attentivement les lieux. John ne compte plus les fois où il est venu détailler le petit bâtiment, se creusant la tête pour chercher par quel système ses créateurs ont pu ainsi le rendre hermétiquement fermé pendant autant de décennies. Par simple curiosité. Son village a appris à vivre avec le barrage mystérieux, dont l’Histoire a oublié les circonstances de sa construction – à moins qu’un sérum n’en soit responsable – , profitant de l’électricité fournie par le transformateur dissimulé dans le bunker. Tobias scrute le cube de béton dont l’apparence est proche de celle d’une maison d’Altruiste. Le béton gris de l’extérieur est surmonté, sur le toit terrasse, d’une couverture hirsute d’herbes héritée des années d’entassement de poussières et de graines apportées par les vents. Une porte analogue à celles découvertes dans la paroi des clôtures ceignant les cités se découpe dans la façade Sud du bâtiment, face au lac. A droite de l’empreinte de la porte, incrusté dans le mur, un cadre de quelques centimètres de côté tranche par sa couleur noire mate. Aucune inscription pour identifier son usage ou son utilité. Contrairement aux portes des murs de clôture, nul boîtier pour saisir un quelconque code. Les fondateurs n’ont pas utilisé partout le même système de sécurité, au grand dam de Tobias, qui espérait bien une cohérence sur ce plan. Il jette un coup d’œil à Tris concentrée sur le fameux cadre noir. La jeune fille va bien trouver la solution ! Mais aucun regard illuminé de triomphe ne vient auréoler son visage à la peau dorée par le grand air. Curieux, Peter tâte la matière noire, sèche et dure, contenue dans le cadre encastré dans le mur à droite de la porte, à hauteur de poitrine. Aucune réaction électrique, mécanique ou magnétique ne vient ponctuer ses manipulations. Tobias réunira son équipe pour une réflexion en commun : ensemble, peut-être auront-ils une idée du système inventé par ces fondateurs dont ils ont su triompher jusqu’à présent.


Après avoir tâté, exploré et observé scrupuleusement le bâtiment cubique, sans plus de succès que les générations présentes et précédentes de St Ignace, le groupe fait demi-tour pour regagner la maison de John. Ils y sont accueillis par les vociférations rageuses du nouveau-né de sa fille Noella. Dans la maison, John serre une franche poignée de main à son gendre qui vient d’arriver avec le médecin, au chevet de la jeune maman. Le jeune père fait le tour des invités et remercie chaleureusement pour l’issue heureuse de l’accouchement de son épouse. La femme de John paraît en tenant dans ses bras le vagissant bébé, très en colère d’avoir été dérangé en plein sommeil, manipulé et ausculté contre sa déjà très forte volonté. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il semble en pleine forme.


Le médecin rejoint la pièce principale quelques minutes plus tard avec son vieux cartable regorgeant de matériel médical en tous genres. Immédiatement, il rassure John et le jeune papa sur l’état de santé de Noella.


C’est le moment que choisissent Mark et Christina pour entrer dans la maison avec leurs trophées à plumes à bout de bras. Deux oies sauvages ont fait les frais de l’arc de l’homme de la Marge. Le médecin les regarde entrer avec stupéfaction.

  • Aah ! Des oies ! s’exclame John. Ces satanées bestioles ravagent les jeunes plans de nos cultures, je ne suis pas fâché de me venger d’elles ce soir !

Le maître de maison fait les présentations et attend que Mark et Christina se déchargent de leur fardeau dans la cuisine pour mettre une franche bourrade dans le dos de l’homme de la Marge.

  • Dr Werner, ce gars-là a délivré ma fille !

  • C’est vous qui avez retourné le bébé dans le ventre de sa mère ? s’étonne le généraliste.

Mark acquiesce en attendant impatiemment de ne plus être le centre de l’attention générale. Mais le médecin, manifestement impressionné, l’encense :

  • Vous avez sauvé la vie de l’enfant et peut-être aussi de la mère, bravo ! Où avez-vous appris à faire ça ?

  • Je l’ai vu faire, dans mon village, sur une femme qui endurait les mêmes souffrances. J’étais présent pour la soutenir, j’ai regardé faire le toubib, répond-il modestement.

  • J’ai fait quelques points de suture pour aider à la cicatrisation. Une épisiotomie aurait été préférable mais vu les circonstances, c’est un miracle que vous ayez pensé à retourner le bébé.

  • Le placenta ? s’enquiert Mark.

  • Il est complet, je l’ai regardé aussi. Je ne crains pas d’hémorragie ou d’infection. La mère est très fatiguée, dit le médecin en s’adressant à John. En dehors de l’allaitement, il serait souhaitable de la laisser se reposer quelques jours avant qu’elle ne s’occupe à temps plein de son fils, qui se porte bien aussi.

  • Ma femme s’occupera du bébé, oui. Merci Docteur. Vous pouvez rester ici autant que nécessaire, naturellement.

  • Merci. Pendant que je suis là, faites passer le message, je consulterai qui le voudra demain toute la journée, je repartirai le jour d’après, propose le médecin.


***


Accoudée contre la rambarde du gigantesque pont, toute l’équipe regarde, fascinée, la puissante cascade qui déverse dans le lac Michigan, vingt mètres plus bas, le surplus d’eau du lac Huron accumulée derrière le barrage. Le nuage de gouttelettes d’eau soulevé par la chute des tonnes de liquide s’auréole d’un arc-en-ciel presque accessible en tendant le bras depuis le pont. Tout en bas, le bouillonnement d’écume sauvage et perpétuel ne s’adoucit que plusieurs mètres en retrait du barrage.


De part et d’autre de la première cascade, sur le côté Nord du pont, l’impressionnant champ de force, matérialisé par un grésillement blanchâtre opaque, retient par un mystérieux pouvoir les colossales quantités d’eau autrefois répandues sur le lac Michigan.

  • Est-ce que le lac Huron a augmenté de volume depuis que le barrage empêche l’eau d’alimenter le lac Michigan ? demande Tris.

  • Oui. Plus loin sur la côte, des villages ont été inondés, on peut voir encore certaines ruines de maisons ou d’édifices autrefois en bord de lac dépasser de la surface, commente le responsable du village.

  • Et à l’inverse, côté Michigan, l’eau a reculé et dévoilé de larges plages qui n’existaient pas avant… poursuit Tris.

John hoche la tête en signe d’assentiment.

  • Ouais, ces gars ne reculaient vraiment devant rien ! Et c’est les populations qui ont hérité des problèmes ! critique Christina.

Soudain, Tris se redresse, et son visage s’ouvre dans une attitude de parfaite lucidité :

  • L’héritage ! Mais oui ! Christina, tu es un génie ! Venez, on retourne au poste de contrôle !

Elle s’élance en courant sur le pont, pour couvrir les quelque cent mètres qui les séparent du bâtiment de béton abritant l’installation protégée. Le reste de la troupe se lance à sa poursuite, plantant en retrait John dont l’entraînement physique ne lui permet pas de suivre le rythme effréné de leur course. Essoufflée, Tris, plantée devant le mystérieux carré noir à droite de la porte, attend ses équipiers. Quand ils la rejoignent quelques secondes plus tard, hors d’haleine, ils attendent qu’elle leur expose sa soudaine illumination :

  • Christina, quand tu as parlé d’hérédité, je me suis enfin souvenue ! Je n’arrivais pas à me rappeler où j’avais vu cette matière noire avant, mais maintenant ça y est ! Dans le labo de Matthew, cette matière est celle sur laquelle il déposait les gouttes de mon sang pour l’analyser et en extraire les données ADN !

Manifestement, cette explication ne suffit pas au groupe pour comprendre comment elle va leur permettre d’ouvrir la porte du bâtiment. Tris poursuit :

  • Tout ce que les fondateurs ont construit était protégé par un système transmis de génération en génération, de façon héréditaire, par des familles Gardiennes. Je suis sûre que c’est aussi le cas pour ce poste de contrôle ! Ils ne voulaient qu’il ne puisse être ouvert que par les descendants de leurs Gardiens !

  • Tu veux dire que cette plaque noire attend une trace ADN d’un descendant de son concepteur pour ouvrir la porte ? siffle Peter, soupçonneux.

  • C’est très possible, acquiesce Tobias. La meilleure façon de le savoir, c’est d’essayer.

Entre temps, John les a rejoints et Christina lui expose l’idée de son amie, pendant que celle-ci dégaine le couteau de la poche de son pantalon.

  • Vas-y Tris, une goutte de ton sang devrait suffire, invite Tobias.

  • Je crois que tu te trompes, Quatre, répond-elle. La mission de ma famille s’est très certainement limitée à la boîte, au message secret, et aux exfiltrations des Divergents. Si j’avais dû ouvrir ce bâtiment, le même code aurait été utilisé. Or, ce n’est pas un code à saisir, et une fois ce barrage construit, il n’était plus nécessaire d’assurer une continuité, c’est-à-dire de transmettre un code pour l’utiliser, il s’autorégule.

Tris se tourne pour plonger ses yeux dans ceux de son petit ami.

  • Par contre, seule une famille dont les ancêtres ont été impliqués dans la conception de ce barrage peut en contrôler le débit. Et quelle famille travaille depuis des décennies dans l’hydrologie et l’informatique ?

Devant les yeux arrondis de surprise du leader du groupe, qui vient de réaliser ce qu’implique la démonstration de Tris, Christina s’exclame :

  • La vache ! Toi, Quatre ! Toi !

Avec un sourire, Tris tend la main vers celle de son petit ami pour attraper son auriculaire. La pointe de son couteau approche du doigt, pendant qu’elle guette l’assentiment de Tobias. Celui-ci, les yeux toujours agrandis et fixant Tris comme s’il venait de voir un fantôme, hoche la tête machinalement. Tris pique doucement le doigt de Tobias. Reprenant ses esprits, il serre la peau à l’emplacement de la minuscule incision pour faire grossir la goutte de sang espérée, et la dépose doucement sur la surface noire et mate, en plein milieu.


Pendant quelques secondes, rien ne se passe, et Tobias se dit que cette fois, Tris n’a pas vu juste. Mais soudain, dans un nuage de poussière, la porte s’anime, s’enfonce dans son encadrement et pivote bruyamment dans un fracas de frottements minéraux pour s’immobiliser perpendiculairement à sa position initiale. Derrière le groupe, John, sidéré, voit ce groupe de jeunes trouver en quelques heures la solution que des décennies de ses concitoyens n’ont pas imaginée.


Tobias retient des bras ses co-équipiers pressés de découvrir l’intérieur du bloc.

  • Laissons la poussière se dissiper, conseille-t-il. Nous ne sommes pas à une minute près.

Le nuage de débris deux fois centenaires perd de sa densité et se dépose mollement au sol, libérant progressivement la vue de l’entrée du bâtiment. Les murs, épais d’un mètre, protègent une pièce unique dont la lumière vient de s’allumer, alors que Tobias pose le pied dans l’encadrement. Au centre de la pièce, une grande console informatique oblique en pupitre est surmontée d’un écran plat plus haut qu’un homme. Un tabouret haut à dossier bas est fixé au sol devant l’équipement. Sur tous les murs intérieurs du poste, des accumulateurs identiques à ceux installés à l’intérieur des clôtures couvrent toute la surface verticale.

  • Qu’est-ce que c’est que ça ? s’émerveille John.

  • Voilà d’où les fondateurs ont programmé le fonctionnement du barrage pour qu’il soit autonome, répond Tobias.

  • L’ordinateur ressemble plus à ceux des Erudits qu’à ceux du Bureau, remarque Tris.

  • Oui, ils ont mis là un matériel que nous serions susceptibles de reconnaître et de comprendre, ça se tient, commente Peter. On devrait pouvoir accéder au système.

  • Sans doute, mais restons prudent, j’aimerais étudier ce champ de force et aussi les vortex, nous ne devons rien toucher avant d’avoir compris le fonctionnement du système. Les conséquences d’un dérèglement du barrage seraient dramatiques.

Tobias et Peter s’approchent de la console. Elle ressemble à celles sur lesquelles ils ont été formés et qu’ils manipulent régulièrement. Le leader allume le matériel, en veille depuis des décennies. L’écran affiche un plan du barrage et une série de codes sur lesquels les deux informaticiens se concentrent. Tobias, en rassemblant ses souvenirs, finit par reconnaître la clé de cryptage simple qu’utilisaient les membres du Bureau dans leurs installations peu protégées.

  • Ils ont dû considérer, à raison, que le bâtiment était déjà une protection suffisante, l’accès au système n’est pas sécurisé, explique Tobias. Nous devrions comprendre le programme en l’étudiant. Je veux aussi savoir comment sont alimentés les accumulateurs. Il ne faut pas priver la ville de son accès à l’électricité.

  • Est-ce que la population est en danger, Tobias ? demande John, inquiet.

  • Je ne pense pas. Mais par précaution, si nous touchons au programme, vous serez tous avertis avant, de façon à vous mettre en sécurité en hauteur sur la colline derrière la ville.

  • Un grand pique-nique, ça dédramatiserait les choses, propose Tris. Nous répondrons aux questions que vos amis se posent sans doute sur nous et la ville d’où nous venons ?

  • D’accord, répond John, crispé. Il faut deux ou trois jours pour organiser ça. Le médecin aura pu voir tous ses patients et sera reparti.

  • Nous vous aiderons, propose Mark. L’Hovercraft pourra transporter rapidement tout le matériel sur la colline, si la pente n’est pas trop raide.

  • Avant ça, nous devons aller sur le lac, et aller voir le fonctionnement de ces vortex, conclut Tobias.

Tris, en apnée, s’attendait à cette annonce. Mais c’est sûr, elle ne se donnera pas en spectacle comme lors de leur arrivée, elle doit dominer, comme ont dû le faire tous les novices Audacieux, cette peur de la masse d’eau retenue derrière le barrage, elle ne sera pas le boulet de la mission.


***


A une dizaine de mètres du barrage, entre les deuxième et troisième séries de piliers de soutien du pont, l’aéroglisseur tangue mollement sur la surface à peine ondulant du lac Michigan. Devant leurs yeux, l’équipage guette avec oppression l’immense paroi immatérielle et palpitante, haute de vingt mètres au-dessus de leurs têtes, qui retient le volume colossal d’eau volé au lac Michigan et prisonnier de son ennemi le lac Huron. Tris s’est gorgée des infusions calmantes préparées par Mark avant de partir, et récite maintenant des textes appris pour détourner son attention du barrage magnétique, opaque et menaçant. Elle aurait aimé que la paroi soit transparente, pour tenter de voir la vie animale de l’autre côté, une vision rassurante et paisible. Mais le champ de force oppose aux regards un écran laiteux impénétrable. Elle sent son rythme cardiaque anormalement élevé taper furieusement dans son cou.


A l’aide d’épaisses cordes, Tobias a conçu un harnais dont il veut équiper deux plongeurs, solidement arrimé au vaisseau flottant, capable en une poussée de reculer du barrage pour extraire en urgence les explorateurs si nécessaire. Il est convenu que Peter et Mark, les deux meilleurs nageurs, s’équipent pour la plongée programmée. Les remous provoqués par le vortex animent le véhicule, l’attirent vers le mur d’eau et obligent constamment à en contrôler la position à l’aide des hélices directionnelles. Au bord de l’Hovercraft, les deux plongeurs terminent de se préparer, aidés par Tris qui vérifie les fixations. Derrière le boudin, Christina observe les opérations, attentive à toute potentielle anomalie.


Soudain, un remous violent soulève d’un gros bouillon la surface instable du lac, imposant un mouvement de recul au véhicule flottant. Sur la surface humide des panneaux solaires, rendue glissante par les projections d’eau brumeuses des cascades proches, Tris est déséquilibrée. La jeune fille brasse l’air de ses bras pour retrouver sa stabilité, en vain. Elle bascule à l’eau sous les hurlements conjoints de Christina et Tobias qui, impuissants, ont assisté à la scène. Immédiatement le remous avale le corps frêle de la jeune Audacieuse. Tobias, dans l’incapacité de lâcher le poste de pilotage du véhicule, au risque qu’il se fracasse en quelques secondes sur le barrage et les détruise, sent la vie quitter son corps. Mark réagit immédiatement et plonge. Si la combinaison le protège de la froideur de l’eau, il n’a pas encore eu le temps d’arrimer la corde à fixée à l’Hovercraft à sa ceinture. Il est happé à son tour par les remous.


Ça recommence. Tris s’est perdue dans un nouveau drame. Et Mark l’a suivie. Elle ne peut pas, pas encore une fois.


Pétrifiée, Christina le voit disparaître à son tour pour retrouver son amie. Mais à l’évidence, son corps massif et musclé domine le courant.


Tout le monde sait que Tris n’aura pas assez de force pour s’extirper seule du vortex. Tobias hurle à Christina de venir le remplacer à la barre, mais la jeune fille, sans réaction face au nouveau drame qu’affrontent cette fois son amie et son compagnon, ne bouge pas d’un millimètre, tétanisée. Mark reparaît à la surface, prend une grande goulée d’air et replonge immédiatement insuffler de l’air à la jeune fille prisonnière de l’eau furieuse. Peter comprend au moins qu’elle est toujours en vie. Tobias hurle toujours pour attirer Christina. Peter, enfin arrimé, fait un bond vers son équipière statufiée par le drame, et la gifle à toute volée.


Réveillée par la violence du coup, Christina reprend enfin pied dans la réalité, alors que Mark reparaît une deuxième fois pour replonger aussitôt. Peter saisit brutalement Christina par les épaules et lui jette entre ses dents, dos à Tobias :

  • Christina ! Va à la barre et assomme cet imbécile, sinon il va se suicider ! Mark ne tiendra pas le rythme longtemps, Tris va mourir noyée, il faut arrêter ça !

Il se retourne en tirant une dernière fois sur sa corde pour vérifier l’arrimage et il disparaît dans l’eau à son tour. Enfin revenue à la réalité, Christina, morte d’angoisse, obtempère vivement et se rue sur le poste de contrôle. Sans que Tobias ait pu anticiper son geste, Christina termine sa course en projetant violemment son coude de tout le poids de son corps sur la pommette de Tobias. Il chancelle, stupéfait et s’effondre. Le second coup percute sa mâchoire et lui fait perdre conscience avant qu’il ait pu réagir, trop surpris pour être préparé à l’attaque. Christina se rue sur le poste de navigation pour reprendre la maîtrise du bateau qui commence déjà à dériver rapidement vers le barrage.


Dans l’eau, Mark, dans l’incapacité d’extraire Tris du puissant vortex, fait des allers-retours à la surface pour tenter de l’oxygéner. Tris sent ses forces l’abandonner. Elle brasse l’eau à contre courant pour échapper au courant furieux. Ses poumons la brûlent pour réclamer l’air salvateur. La tétanie menace ses muscles endoloris par l’effort et le froid. Le cerveau déjà embrumé, elle ne sait plus de quel côté se trouve la surface. La panique lui coupe toute forme de réflexion, de stratégie de survie. L’apport d’air que lui procure Mark ne lui permet que de résister faiblement au néant qui se saisit d’elle de plus en plus. Elle n’arrive plus à garder sa bouche fermée pour garder dans sa gorge la bulle d’air qui la relie encore à la vie. « Tobias… ». Sa dernière pensée est pour lui. Elle ne tient plus, le sommeil l’engloutit.


Alors qu’elle cesse de lutter et que ses yeux se ferment, elle sent un frisson glacé remonter le long de son dos jusqu’à sa nuque, la pincer et fouetter son sang ralenti. « N’abandonne jamais, Tris ! Sois courageuse ! ». La voix, féminine, familière, vient de partout, et nulle part. Elle résonne dans son crâne prêt à exploser. La voix est juste là. Dans l’eau, dans sa tête. Elle domine le grondement du tourbillon mortel, regonfle ses muscles d’énergie, stimule son cœur. Péniblement, Tris rouvre les yeux alors que Mark la saisit brutalement par les joues pour souffler un peu d’air dans sa bouche. Ça ne dure que quelques secondes et elle est à nouveau seule à se battre faiblement dans l’eau froide, brinquebalée par les courants contraires. « Allez, Tris ! Réveille-toi ! Bats-toi ! ». La voix est douce, forte, irrésistible. Le visage de Beatrice, ses cheveux courts, son regard déterminé, inflexible, troublent les volutes d’eau. Son sourire est encourageant, et à la fois presque féroce. « Sois courageuse, Tris ! Tu le peux ! Tu le dois ! Tu es une Audacieuse ! Tobias a besoin de toi ! Debout Tris ! ».


Le visage disparaît dans un nuage blanc, englouti par un remous, comme épuisé par son effort de soutien. La vision n’a duré que quelques secondes.


Peter, cramponné à la corde tendue qui le retient, s’approche rapidement de Tris et comprend pourquoi la jeune fille ne peut pas remonter à la surface. Bien qu’elle lutte de toutes ses forces contre la force du courant qui propulse l’eau du lac Michigan vers le lac frère, de l’autre côté du barrage, le diamètre du tourbillon ne lui permet pas de passer à travers. Et surtout, son immense et épaisse chevelure, alourdie par l’eau, a été aspirée dans le vortex et la maintient irrésistiblement prisonnière. L’eau, troublée par les remous, est translucide, et opaque comme un jour de brouillard. Elle drague une multitude de particules qui rendent difficile tout repérage dans l’espace. Mark reparaît pour la quatrième fois, déployant une force démesurée pour lutter contre le courant et apporter en bouche à bouche à Tris, secouée par les remous, l’air minimum qui la maintient encore en vie.


Alors que Mark, à bout de souffle et épuisé, remonte à la surface reprendre de l’air, Peter, qui sent qu’il ne tiendra lui-même pas bien longtemps sans reprendre d’air, dégaine le couteau de son étui plaqué en bandoulière sur sa combinaison et se jette sur la jeune fille. Tris, frigorifiée et au bord de l’évanouissement, luttant contre l’aspiration, l’aperçoit, à quelques centimètres d’elle, lever son bras menaçant avec son couteau. En un éclair, elle se dit qu’il a plongé pour abréger ses souffrances, et la tuer d’un coup de couteau. C’est une meilleure solution que la noyade qui lui embrase les bronches, la gorge, les yeux. D’un geste aussi vif que la force du courant le lui permet, Peter lève son bras et l’abat sur la jeune fille, tranchant de sa lame affûtée sa chevelure prisonnière du vortex.


Mark reparaît près du tourbillon, brassant furieusement l’eau pour approcher de la jeune fille, mais il constate le geste de Peter et s’aperçoit que la jeune fille est libérée de l’attraction mortelle du tourbillon. D’une brasse puissante, l’homme de la Marge remonte à la surface et hurle :

  • Quatre ! Vite, écarte le bateau ! Viiite !

Christina, qui s’égosille depuis de longues secondes pour appeler Mark et Tris – comme si ses hurlements avaient le pouvoir de les faire remonter – comprend que le bateau doit tirer Peter hors de la zone d’influence du vortex. Elle vire de bord et lance la soufflerie à fond. Quelques secondes plus tard, l’Hovercraft est suffisamment écarté pour être en sécurité, et Christina se rue vers le bord du véhicule, complètement paniquée.


Mark apparaît à la surface, à quelques mètres de l’aéroglisseur et prend une gigantesque inspiration, épuisé et hors d’haleine. Il nage pour rejoindre le bateau qui s’est éloigné. Près de la plateforme, deux secondes plus tard, Peter, traîné en arrière par le mouvement du véhicule, se stabilise à la surface de l’eau, tenant fermement par la taille Tris, toussant et crachant l’eau qui lui encombre les poumons.


Christina jette à Mark la corde qu’il n’a pas eu le temps de fixer à sa taille pour l’aider à rejoindre le bateau. Puis elle lui tend la main pour le hisser à bord. Dès que Mark passe ses genoux sur les panneaux, elle se précipite pour aider la compagne du leader à sortir de l’eau, poussée par Peter.


Tris s’affale en roulant sur le bord de l’embarcation, reprenant difficilement son souffle et toussant puissamment. Près d’elle, Mark, assis contre le boudin, la tête renversée en arrière, essaie de récupérer aussi. Près d’eux, Peter, dégoulinant et tête baissée, à genoux et les mains sur la taille, halète puissamment et tente lui aussi de reprendre son souffle.


Pendant ce temps, près du poste de navigation, Tobias reprend doucement ses esprits et se redresse, groggy, secouant la tête pour dissiper la brume de sa tête. Retrouvant sa conscience, il se jette d’un bond sur ses pieds et se précipite vers les naufragés en criant d’une voix rauque :

  • Tris ! Tris !

  • Je… ça va… Tobias… articule Tris, tremblant de tous ses membres.

  • Bon dieu, Tris… j’ai cru…, souffle Tobias en l’agrippant pour la serrer contre lui, les yeux clos et crispés de peur rétrospective.

  • Je… n’ai … pas réussi à remonter… exhale la jeune fille.

  • Chut… tout ce qui compte, c’est que tu sois là… répond contre son oreille le jeune homme, en la serrant et la berçant pour la réconforter.

  • Beatrice… elle… est venue, Tobias. Elle… m’a réveillée, elle m’a dit de tenir… d’être… courageuse…

  • Tu n’imagines pas comme j’en suis heureux, elle t’a protégée… Respire bien, respire… répète son compagnon en la serrant contre sa poitrine.

Il glisse ses bras sous les genoux et les épaules de Tris et la soulève d’un coup de rein pour aller la placer à l’intérieur des boudins de caoutchouc, adossée sur l’un d’eux. Christina, au chevet de Mark, l’enlace tout autant pour le réconforter aussi, que pour se consoler elle-même de la terreur qu’elle a ressentie. Bien que sachant son petit ami excellent nageur, elle a cru qu’elle ne le reverrait plus, lui non plus. Mark, ému, est heureux de la serrer dans ses bras, détrempant ses vêtements.


Un genou à terre près de sa petite amie, après s’être assuré qu’elle retrouvait convenablement sa respiration, Tobias reporte son attention sur Christina :

  • Bon Dieu, Christina, qu’est-ce-qui t’a pris de m’assommer ?! s’emporte-t-il.

  • Tu aurais plongé comme un abruti et tu te serais noyé, Quatre, répond à sa place Peter d’un ton ferme en s’interposant. C’est moi qui ai dit à Christina de t’assommer. J’étais le seul à être arrimé. Je n’étais pas sûr de pouvoir remonter Tris, et certain de ne pas pouvoir en remonter deux !

Tobias adresse un regard meurtrier à Peter, et fusille juste après Christina du regard. Tris lève la main pour caresser la joue de Tobias, qui commence à bleuir là où Christina l’a frappé de toutes ses forces. Elle accroche à nouveau son regard enflammé par la colère et l’inquiétude. C’est seulement à ce moment-là que Tobias s’aperçoit de la nouvelle longueur des cheveux de sa petite amie. Il saisit entre ses doigts quelques mèches écourtées. Elle sourit :

  • Tobias, ils m’ont sauvé la vie, on est tous saufs, ils ont été très courageux…

  • Oui, je sais, tu as raison, mais j’ai eu peur de… commence Tobias en soupirant.

  • Beatrice… Elle m’a dit que tu avais encore besoin de moi…

Tobias lui sourit avec adoration. Il soupire en adressant une prière de remerciement à la sœur de Tris :

  • Tu n’imagines pas à quel point, Tris. Je… Ma vie… c’est la tienne.

Il essuie du pouce l’eau qui dégouline de ses cheveux sur sa joue zébrée, puis il se redresse pour aller chercher des couvertures. Il essaie de relâcher la tension dans ses muscles. Ses bras, son dos, ses cuisses, sont en béton. Il respire à fond et, tout en regardant Tris, il lance :

  • Rentrons, nous avons eu assez d’émotions pour aujourd’hui. Christina, ramène-nous.

Heureuse de s’en tirer à si bon compte, Christina obtempère prestement et démarre le véhicule en direction de leur plage d’arrivée, en bordure de Saint-Ignace.

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