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Fanfiction Divergente 4 - Résurgence, Chapitre 45

CHAPITRE QUARANTE-CINQ

Effarés, John et sa famille voient arriver, au milieu de leur déjeuner, la troupe de visiteurs, dont trois sont trempés jusqu’aux os, et le visage manifestement défait.

  • Qu’est-ce qui s’est passé ? demande le responsable de la ville en se levant de table.

  • Tris est tombée à l’eau, elle a été aspirée par un vortex. Mark a dû l’insuffler pour la garder en vie, et Peter a coupé ses cheveux qui l’empêchaient de s’extirper du tourbillon, explique Tobias, l’air encore sombre, le bras enroulé autour des épaules de la jeune fille trempée.

  • Mon dieu ! s’exclame l’épouse de John en se précipitant pour entraîner Tris par les épaules. John, va faire des boissons chaudes, viens mon enfant, une douche chaude te fera du bien !

Tobias plaque un baiser sur la tempe de sa petite amie et la laisse s’éloigner avec son hôte empressée. Pendant que Mark et Peter s’isolent pour se changer, Tobias et Christina s’installent autour de la table, en suivant des yeux Tris et sa coupe de cheveux asymétrique qui s’éloigne dans le couloir.

  • La bonne nouvelle, c’est que Mark a vu comment fonctionnent les vortex, c’est eux qui produisent l’énergie transmise aux accumulateurs, avec des turbines fixées au fond du lac. Même si le barrage est abaissé pour rétablir le niveau d’eau dans le lac Michigan, je pense qu’il est possible de conserver les vortex pour continuer à alimenter votre ville.

  • Ça me soulage. Je… me disais que vous n’aviez pas fait tout ce voyage pour renoncer à votre projet…

  • C’est vrai, mais nous ne sommes pas là pour détruire la vie des populations non plus. Sachez aussi que toutes les familles qui le souhaiteraient sont invitées à venir s’installer à Milwaukee ou Chicago. Nous sommes aussi porteurs de ce message-là, de la part de nos gouvernants.

  • Merci, je ferai cette proposition aux habitants.

  • Dès cet après-midi, je vais étudier le programme informatique, conclut Tobias. Si des essais doivent être faits, ce sera pendant la réunion du village, demain, quand tout le monde sera à l’abri sur les hauteurs.

Tobias, accompagné de Peter, passe un long moment dans le centre de contrôle du barrage, après le déjeuner. Il en profite pour lui glisser les remerciements qui lui tournent dans la tête depuis le matin.

  • Peter, je… merci, pour Tris, lui dit-il en le regardant droit dans les yeux, à demi assis contre le pupitre informatique, pour se donner une contenance.

  • C’est bon, Quatre. Beatrice et toi… enfin… vos regards, chez les Erudits, quand je l’ai aidée à s’enfuir et qu’elle s’est réveillée du coma. Tu sais, tu pensais qu’elle était morte… J’avais encore jamais vu ça. Cette guerre, la destruction, les morts, les trahisons, et vous là au milieu, vous… Enfin, Tris et toi, vous êtes pareils. Et j’ai su que j’avais une autre chance quand j’ai vu ça aussi dans les yeux de Beth. J’aurais aimé moi aussi que quelqu’un plonge pour aller chercher Beth.

Tobias plaque une bourrade sur l’omoplate de Peter en hochant la tête.

  • Ça se mérite le bonheur avec des femmes comme ça hein ?

  • Pas de tout repos, oui, approuve Peter en levant les yeux au ciel. Ils vont se calmer les Prior un jour ?

Tobias rit.

  • Je ne voudrais surtout pas qu’elle soit autrement, avoue Tobias à mi-voix. Il faut juste suivre et… aimer.


***


Tris n’est qu’une boule de douleur. Les contractions musculaires et les courbatures déchirent son corps tout entier à chaque mouvement. Mais elle ne veut pas gâcher la journée de ces gens. Elle s’estime remise et a tenu à aider aux préparatifs du pique-nique, avec Christina. Mark, lui, est parti en exploration pour faire son compte-rendu, et chasser pour participer à l’effort alimentaire.


Les deux informaticiens ressortent en milieu d’après-midi de leur retraite studieuse et retrouvent les filles en pleins préparatifs. Ils sont souriants, les nouvelles sont bonnes : les systèmes du barrage et des vortex sont dissociés et ils ont pu décoder le programme de maîtrise du champ de force. Demain, ils pourront faire des tests d’abaissement de la hauteur du barrage.


La totalité de Saint-Ignace est réunie par petits groupes sur la colline baignée de soleil. Celle-ci domine le village face au lac, sur la pente Sud, et est organisée en terrasses naturelles. Plusieurs feux de camp sont répartis parmi les groupes, au-dessus desquels rôtissent lapins, canards, oies et saumons. L’essentiel de ces grillades est le résultat de la chasse Mark, accompagné par quelques villageois intéressés par ses techniques, chasse et pêche auxquelles il a passé tout l’après-midi précédent. Il a même profité de l’heure tardive du coucher du soleil à cette saison pour parcourir les environs et ramener des plantes sauvages comestibles, réparties entre ses accompagnateurs avec des conseils d’utilisation. Christina, elle, a passé la soirée à faire des gâteaux au chocolat – sans chocolat – rare à Saint-Ignace, mais au miel produit localement.


Sur la colline, même la jeune maman a tenu à participer à l’événement en emmenant son nouveau-né. La veille au soir, elle a ému aux larmes l’homme de la Marge en lui annonçant qu’en son honneur, elle l’avait prénommé Joshua – signifiant Dieu Sauve en Hébreu a-t-elle dit – Mark. Le bébé est l’attraction du jour, et nul doute que l’histoire de sa naissance alimentera les conversations très longtemps dans les parages. Le groupe d’étrangers fait aussi l’objet de toutes les curiosités. Chacun d’eux répond aux questions du mieux qu’il peut, satisfaisant la curiosité de tous et la soif de nouvelles de cette population trop longtemps isolée.


Soudain, un coup de feu retentit. C’est le signal. Tobias, seul dans le centre de contrôle, avertit qu’il va modifier le programme qui règle le débit des cascades, en descendant progressivement la hauteur du barrage. Avant de partir s’isoler dans le cube de béton, Tobias a averti son équipe, en fixant alternativement chacun des anciens Audacieux, et même Mark, de son regard bleu sombre inflexible :

  • Assurez la sécurité de la population, que personne ne descende de la colline avant que je ne l’autorise. Si l’un de vous tente de me rejoindre ou de descendre au village avant mon signal, ceux d’entre vous qui ne l’auront pas assommé seront accusés d’insubordination et traduit en justice à notre retour… Et j’ai déjà averti Johanna de ces consignes.

Avec cette consigne ferme, Tobias entend réaffirmer son leadership dans cette expédition, et surtout, dissuader Tris de toute action déraisonnable, quoi qu’il arrive. Elle serait capable de se débarrasser d’assaillants, même Peter, pour n’en faire qu’à sa tête, mais n’oserait pas exposer ses amis à une sanction sévère. Enfin, il l’espère – sans vraiment y croire –.


Pour l’heure, il enchaîne quelques manipulations sur son clavier plat, générant clignotements et protestations électroniques du système. L’atmosphère autour de lui pèse sur sa poitrine et il se sent oppressé par l’enjeu. Il respire à fond avant d’appuyer sur la dernière touche, et se lance, puis il tourne la tête vers l’extérieur. Depuis son tabouret, il voit le barrage. Le centre de contrôle a été conçu pour le permettre, la porte constituant la seule ouverture du petit bâtiment.


Tout d’abord, il pense à une erreur de manipulation de sa part, ou à un dysfonctionnement. Rien ne bouge du côté du barrage pendant deux longues minutes. Pourtant, imperceptiblement, à force de scruter les cascades, il lui semble que le débit des chutes d’eau se modifie. Il faut quelques minutes encore d’attente fébrile pour que soudain, il pousse un énorme cri de victoire : le lac Huron déborde lentement ! Le gigantesque trop-plein commence à se déverser dans le lac Michigan, soulevant de gigantesques quantités d’embruns blanchâtres en contrebas. Le cœur battant la chamade, en passant machinalement ses mains dans ses cheveux bouclés et noirs, il regarde comme fasciné la bassine de géant déverser son trop-plein dans le bassin inférieur. Son menton volontaire tremble un peu et l’émotion lui noue la gorge. Ses mains placées en prière contre ses lèvres, il scrute le gigantesque pont.

  • Bon sang… Elle a réussi, nom de Dieu elle avait raison et elle a réussi ! murmure Tobias en regardant l’écoulement presque paresseux de l’eau du lac Huron par-dessus le champ magnétique en rétractation.

Le jeune homme a prudemment programmé une baisse de la hauteur du champ de force de quelques centimètres seulement en dessous du niveau actuel du lac Huron, afin de ne pas générer de déplacement d’eau violent et dévastateur en aval. La largeur du détroit, près de huit kilomètres, va déjà constituer un dévers d’eau colossal en quelques jours. N’y tenant plus, il sécurise le programme pour que personne ne puisse y accéder, sort du centre de contrôle en refermant la porte et saute sur l’Hovercraft laissé à son intention, en cas de problème. Il démarre l’engin et le dirige vers la colline où sont regroupés ses amis et tous les habitants de la petite ville. Au pied du vallon, il arrête le moteur et saute au bas du véhicule. A flanc de colline, Tobias aperçoit ses amis et Christina retenant fermement son amie par les épaules, appliquant scrupuleusement la consigne impérative du leader. Ce dernier lève les bras au ciel et affiche clairement, par ses pouces en l’air, le succès de l’opération. Christina hurle de joie en sautant dans les bras de Mark, qui l’a rejointe en voyant arriver l’Hovercraft. Libérée, Tris dévale la pente douce en courant pour rejoindre son petit ami, et s’arrête à quelques mètres de lui.

  • Quatre ? s’inquiète Tris.

  • Tris… tu as réussi, l’eau revient dans le lac Michigan…, répond Tobias, la gorge serrée d’émotion, en s’approchant de la jeune fille.

D’une puissante étreinte, il la saisit par la taille, la soulève en la faisant tournoyer. Tris noue ses bras autour de son cou en riant et enfouit sa tête au creux de son épaule.

  • Nous avons réussi, tous ensemble, avec de la foi… murmure Tris à son oreille.

  • Du courage…

  • De l’audace…, enchaîne la jeune fille en souriant. Beatrice avait rêvé de revoir l’eau sur les marais de Chicago…

  • Elle ne me l’avait pas dit. Comment le sais-tu ? demande Tobias doucement.

  • Quand elle a descendu la tyrolienne, précise Tris les yeux dans le vague. Elle se sentait si bien, si libre, si forte… La vue sur la ville était si belle, et elle a pensé à ça en regardant le mur et les marécages.

  • Elle les verra, par toi, grâce à toi, murmure Tobias contre sa bouche.

Leurs trois amis dégringolent la pente pour les rejoindre et partager leur joie. Même Peter exulte et montre une exubérance inhabituelle.

  • Bravo Pète-Sec, t’as sauvé ton lac ! lâche-t-il avec un humour moins noir qu’à son habitude, en la bousculant de l’épaule.

Tris sourit franchement à Peter, pour la première fois, et elle s’en sent heureuse, libérée.

  • L’histoire a failli se reproduire, dit-elle. Beatrice est morte en sauvant la ville. Elle est partie parce qu’elle était seule, qu’elle a voulu agir seule. Sans toi et Mark, je serais morte aussi. Je suis là parce que je suis entourée d’une équipe, et qu’on aurait rien réussi sans vous tous. Merci…

  • Alors ça y est, notre vie va changer ?

C’est la voix un peu inquiète de John, qui vient s’associer à leur liesse.

  • Je crois que oui, John, un peu, répond Tris. Mais votre vie sera aussi ce que vous en ferez. Le lac va juste redevenir ce que la nature, la fonte d’un très vieux glacier, avait fait de lui. Pour vous, c’est d’abord le paysage des côtes que vous connaissez qui va un peu changer. Pour nous, c’est deux grandes villes, aujourd’hui à l’intérieur des terres, closes, enfermées dans leur Histoire, qui vont redevenir des ports et s’ouvrir au nouveau monde. Vous en faites tous partie, vous aussi, de ce monde. Et l’eau du lac, quand elle sera revenue à Chicago et Milwaukee, nous permettra de briser votre isolement, de permettre des échanges et des approvisionnements qui vous manquent aujourd’hui. Le prochain gâteau que Christina vous fera sera vraiment au chocolat !

John sourit avec un peu d’inquiétude quand même. Tris jette un œil à Tobias en détachant sa montre communicante du poignet. Le jeune homme comprend en une seconde l’intention de sa petite amie et lui sourit.

  • En attendant que les premiers bateaux puissent aborder votre région, prenez ça. On m’a donné cette montre un jour où j’avais peur, où j’avais besoin d’être entourée et protégée. Vous pourrez ainsi communiquer avec Tobias, nous donner des nouvelles de Joshua et nous avertir si des familles de Saint-Ignace envisagent de venir habiter la grande ville ?

  • Que Dieu te bénisse, Tris, accepte le jeune grand-père avec émotion. Ne nous oubliez pas !

  • Le barrage ne va pas disparaître en deux jours, rassure Tobias en serrant Tris par la taille. J’ai programmé une rétractation très progressive, trois mois, pour que personne, sur les rives, ne soit pris au dépourvu par une brusque montée, ou la baisse, des eaux. Les vortex continueront à vous fournir de l’électricité tant que vous n’aurez pas une autre source. Si vous constatez des événements anormaux, envoyez un message. Nous ne pourrons pas être réactifs en raison de la distance, mais nous ne laisserons pas tomber cette ville.

Tobias tourne la tête vers Tris. Le petit vent du Sud soulève ses mèches maintenant moins lourdes, écourtées par sa mésaventure dans le vortex, cisaillées par Peter et égalisées par l’épouse de John. Il n’en revient toujours pas : leur mission a réussi. La sienne, maintenant, est de ramener le groupe à bon port. La jeune fille lève les yeux vers lui et répond muettement à l’appel de son regard.

  • On rentre chez nous ? souffle-t-elle.

  • Oui, on rentre chez nous.


***


C’est une large délégation de Saint-Ignace qui s’est attroupée autour du petit groupe d’Audacieux pour leur départ. Les accolades semblent aux hommes plus émouvantes qu’ils ne l’auraient cru au premier abord. Ces habitants sont désormais indissolublement liés à leur histoire et au succès de leur mission. L’accueil compréhensif qu’ils ont reçu est aussi étonnant que méritoire. Mais l’isolement de cette population était si grand que le moindre lien avec d’autres groupes d’êtres humains a été accueilli avec joie et bienveillance.


Tobias a programmé la baisse du barrage sur une longue période à venir. Quelques centimètres par semaine. La simple houle, gonflée par le vent, génère déjà un débordement supplémentaire d’eau qui va s’écraser par tonnes mugissantes au bas de la falaise artificielle. Compte tenu de la surface du lac Huron, il a estimé, grâce aux programmes laissés dans le système par les fondateurs, que le nivellement de chaque baisse du barrage prendrait au moins une semaine, moins en cas de mauvais temps et d’agitation forte des masses d’eau.


Il se réjouit de l’idée de Tris de laisser à John sa montre pour garder contact avec lui. Il espère ainsi avoir des nouvelles du barrage, ou plutôt, de sa disparition progressive. Ce dernier est censé descendre bien en dessous du niveau final de l’eau dans le détroit, afin qu’aucun creux même tempétueux, ne le découvre et ne risque de mettre en péril une éventuelle navigation. La hauteur du barrage sous-marin programmée permet en outre de conserver l’usage des vortex, producteurs d’électricité pour la ville de Saint-Ignace.


L’Hovercraft exhale un grand souffle de monstre qui s’atténue dans un ronron, soulevant un nuage de sable coupant autour de lui. A l’intérieur des parois protectrices des boudins, les cinq co-équipiers agitent les bras pour saluer une dernière fois leurs hôtes involontaires.


Malgré le temps couvert, la surface du lac Michigan est à peine troublée par une houle moelleuse qui berce les cygnes habitués de ce rivage, plus loin, là où l’aéroglisseur ne leur semble plus un danger. L’Hovercraft survole les ondulations et Tobias décide de suivre exactement à l’inverse le chemin parcouru à l’aller. L’heure n’est pas à l’exploration, il a maintenant hâte de retourner à Chicago, suivre l’évolution du lac. Et vivre, juste vivre. Avec Tris.


Pour l’heure, il guide l’aéroglisseur vers la côte Sud du détroit de Mackinac, en oblique et en s’éloignant du barrage, pour épargner les angoisses de sa petite amie. Ils dépassent par l’Ouest la presqu’île qui surplombe Sturgeon Bay. Tobias est presque déçu que la remontée des eaux, timide et encore imperceptible sur les berges, n’ait pas encore permis à ces terres de redevenir les îles, alignées en chapelet horizontal, comme elles l’ont été avant l’assèchement du lac.


C’est en longeant les côtes prudemment, et en guettant l’évolution de la météo, que Tobias ramène son équipe sur le lieu du dernier campement qu’ils avaient quitté. Une fois arrivés, Mark part inspecter les collets posés à l’aller. Malheureusement, le lapin capturé a fait la joie d’un prédateur entre temps. Il en pose un nouveau à un autre endroit stratégique, espérant une prise pour le lendemain matin. Le groupe dîne finalement avec les provisions fournies par les villageois de Saint-Ignace, et termine avec une compote de fraises comme celle qu’ils avaient dégustée à l’aller.


Le lendemain, la traversée jusqu’à North Manitou Island se passe sans encombre. Les éléments semblent se contenir pour leur laisser rentrer chez eux raconter leur épopée. Ils contournent la grande île, fascinés par les abords de sable abrupts de Sleeping Bear Dunes. D’immenses dunes de sable éblouissant, à peine saupoudrés de pauvres herbes desséchées, étendent leurs ondulations le long des berges découvertes par le bas niveau du lac. On devine aux crêtes éphémères érigées, la fragilité des montagnes de sables, modelées en de nouveaux paysages à chaque colère des vents. Ils font halte pour la nuit sur une plage de sable au Nord de South Manitou Island.


C’est cette fois un jeune cygne dont Mark rapporte la chair pour faire profiter à ses amis de ses talents de chasseur. C’est presque à regret que les filles déshabillent le bel oiseau blanc altier, au bec orange surmonté d’une boursoufflure noire filant jusqu’à l’œil. Sous l’œil plus intrigué que méfiant de ses co-équipiers, l’homme de la Marge prépare aussi un ragoût de légumes sauvages : bulbes de lys sauvages, fleurs de massette et carottes sauvages, trouvés dans ce qui pouvait être l’ancien potager d’une petite chapelle abandonnée dans la forêt côtière. Sa connaissance de la nature soulève une fois de plus l’admiration de ses amis. Pendant que le dîner cuit, sous la surveillance de Christina, le reste de l’équipe décide une exploration des environs. Tris, elle, est tendue. Cette sortie dans le bois ne l’enchante pas. Nerveuse, elle cherche à en dissuader Tobias sans arriver à lui exprimer de raison concrète à ses réticences.

  • Tris, qu’est-ce qu’il y a ? demande Tobias.

  • Je ne sais pas, j’ai l’impression qu’on nous observe, hasarde la jeune femme.

  • J’ai jeté un coup d’œil, je n’ai rien vu de suspect, rassure Tobias, pas de traces humaines. Nous n’irons pas très loin, mais notre mission est aussi une mission d’exploration, de renseignement environnemental.

  • Je sais… soupire Tris.

La jeune fille est renfrognée, en colère surtout contre elle-même. Elle n’arrive pas à mettre de mots sur son malaise. Elle s’isole quelques minutes sur l’Hovercraft, pendant que ses comparses finissent de préparer la volaille à la broche et les légumes. Elle reparaît avec une tresse très serrée de ses cheveux, comme si elle se préparait au combat. Peter la dévisage en levant les sourcils, toujours étonné par l’étrangeté de certaines de ses réactions. Tobias met sur le compte des épreuves récentes endurées, et sur la pression du retour, la nervosité exacerbée de sa petite amie. La troupe prend donc le chemin de la forêt. Mark prend de nombreux échantillons végétaux, observe, sous la protection du leader. L’homme de la Marge a pris très au sérieux l’engagement pris de rapporter des informations utiles sur la biodiversité des milieux rencontrés pendant l’expédition.


Alors qu’ils marchent depuis vingt minutes entre les arbres, écartant les branches pour progresser, Tris se fige soudain et dégaine aussi discrètement que possible son couteau, son arme favorite. Peter, à quelques pas devant elle, surpris par l’arrêt de la jeune fille, se retourne pour en comprendre la raison. Stupéfait, il se fige à son tour.

  • Quatre ! appelle-t-il d’une voix aigue.

Tobias, placé quelques mètres en biais, se retourne et voit, muet de stupeur, Tris menacer de loin Peter de son couteau. A cinq mètres de lui, la jeune fille, bras gauche tendu devant elle en guise de viseur, a placé en arrière de son épaule droite la lame affutée au bout de son bras replié en arrière, prêt à tirer.

  • Tris ! Qu’est-ce-que tu fais ?! crie Tobias.

  • Peter, si tu bouges, je te tue ! siffle Tris.

Avant que quiconque ait pu réagir, la lame s’envole en ligne droite dans un éclair métallique à travers l’espace séparant Tris de Peter. Ce dernier, pétrifié, n’a pas le temps de réaliser qu’il va mourir. La lame effleure ses cheveux au ras de son oreille et va se ficher, derrière lui dans une créature qui s’effondre dans un rugissement étouffé, à mi-chemin entre le feulement d’un chat en colère et le cri d’un nouveau-né, aux pieds de l’ex-Audacieux. Sidérés, les trois hommes dirigent leur regard au sol. Juste derrière les pieds de Peter, un gros félin doré, plus grand que lui, git au sol dans une position de torsion improbable. Les extrémités de sa queue et de ses oreilles sont noires, et il arbore un pelage dru aux poils courts, fauves, plus clairs sous la tête et sous le ventre.


Tris, encore bouleversée par son intervention, prend appui sur l’arbre à sa gauche pour retrouver sa lucidité, tête basse. Tobias et Peter, revenus de leur surprise, visent le grand félin de leur pistolet, par précaution. Mais il est évident qu’il est mort sur le coup.

  • Tris… articule Peter, toujours choqué. Tu m’as sauvé la vie… Je croyais que tu voulais me tuer !

  • Pète-Sec un jour, Pète-Sec toujours. On est quitte, Peter, marmonne Tris avec une pointe d’ironie, un peu tremblante.

Mark, qui était resté en retrait, les rejoint au-dessus du félin, armé également, ce qui permet à Tobias de rejoindre sa petite amie.

  • Tris, ça va ? demande-t-il.

  • Ça va, je ne voulais pas tuer cet animal mais il allait sauter sur Peter, je ne pouvais pas faire autrement, s’explique-t-elle.

  • Tu as fait ce qu’il fallait, viens, l’invite le leader.

Tobias et Tris rejoignent en quelques pas Peter et Mark, près du félin étalé au sol sur les feuilles mortes et les fougères enchevêtrées.

  • C’est un puma, constate Mark. Un mâle adulte. Je ne comprends pas comment ton poignard a pu le tuer aussi net, là où tu l’as atteint sur l’épaule, Tris.

Tobias comprend en un éclair ce que Tris faisait sur l’aéroglisseur avant leur départ pour l’exploration du bois.

  • On verra ça plus tard, coupe-t-il en récupérant le poignard dans l’épaule du prédateur pour le rendre à Tris. Peter, Mark, aidez-moi à le transporter. Si c’est possible, on le ramène à Milwaukee.

Il faut toute l’énergie des trois hommes pour soulever le poids mort du gros félin. Christina bondit sur ses pieds, les yeux ronds, en les voyant arriver, haletants, portant sur leurs épaules le carnassier abattu.

  • La vache, c’est quoi ça ? Qu’est-ce-qui s’est passé ? s’écrie la jolie brune, pendant que les hommes, dans un dernier coup de rein, propulsent le félin sur le bord de l’Hovercraft.

  • Tris avait faim, ricane Mark, le cygne ne lui suffisait pas !

  • Ce chaton allait me sauter dessus, grince Peter, luisant de sueur. Je ne l’avait pas vu.

  • Tris ? Tu as tué ce fauve ? Mais j’ai pas entendu de coup de feu !

  • Tris est impressionnante au couteau, susurre Mark. Peter a dû sentir le vent de la lame lui chatouiller la joue…

  • Dis-moi, comment un fauve de soixante kilos au moins a pu mourir sur le coup d’un seul coup de couteau dans l’épaule ? Tu as une de tes explications ésotériques à ça, Pète-Sec ?

Tris ne répond pas, et jette un regard furtif à Tobias. Le jeune homme sait qu’il va devoir s’expliquer sur ce qu’il va annoncer.

  • Elle a trempé sa lame dans le sérum de mort, assène Tobias d’un ton neutre.

  • Quoi ? clament en chœur Peter et Christina, sèchement.

Mark, lui, tombe des nues et regarde, hébété, l’affrontement verbal entre ses amis. Tobias s’assoit près du feu, pendant que Tris va chercher de l’eau au bord du lac, pour nettoyer sa lame mortelle au-dessus d’un coin de sable stérile. Quand elle revient, tous sont assis autour du rôti de cygne et se partagent la viande tendre et grillée.

  • … alors Johanna m’a laissé un coffret avec un flacon de chacun des sérums, au cas où, raconte Tobias. J’ai estimé que je ne pouvais pas être le seul à en connaître l’existence. J’en ai donc parlé à Tris. Avant de partir en forêt, elle était nerveuse et m’a dit avoir l’impression que nous étions observés. Comme je n’ai pas annulé la sortie en forêt, je suppose qu’elle est allée sur l’Hovercraft pour… augmenter la force de son poignard.

  • Tu aurais pu me toucher, Tris… articule Peter, blême.

  • J’ai tablé sur ton instinct de survie… très développé, persifle Tris en s’asseyant. J’ai vu ça dans les simuls… quand ma sœur t’a attaqué chez les Audacieux, ou quand tu t’es allié à Jeanine… C’est pour ça que j’ai tablé sur ton immobilité et que je t’ai dit que si tu bougeais, j’allais te tuer. Le puma était sur une branche derrière un tronc que personne ne pouvait voir à part moi, de là où je me trouvais. Si tu avais bougé, je n’aurais pas pu garantir d’atteindre le puma sans te toucher.

Christina ricane à l’évocation de ces passages peu glorieux du passé de Peter.

  • Etait-ce bien utile de rappeler ça, Pète-Sec ? proteste Peter, puis en se radoucissant : Même si la méthode est flippante, je te suis reconnaissant quand même…

  • C’est toi qui a demandé une explication ésotérique à mon geste, rappelle-toi, lâche Tris en arrachant des dents un morceau de cygne rôti de l’os de sa cuisse. Mark, c’est bon !

  • Parce qu’il est jeune. Les cygnes adultes sont trop coriaces à mon goût, commente le jeune homme en faisant un clin d’œil évocateur à Christina, qui lui vaut une bourrade dans les côtes.

  • Pourquoi tu veux l’emmener, Quatre ? interroge Christina.

  • Je ne sais pas si ces fauves peuvent nager suffisamment loin pour rejoindre le continent. A mon avis, tout au plus l’espèce a-t-elle pu traverser le détroit entre North et South Manitou Island. J’imagine que ce puma pourra faire un sujet d’étude intéressant sur la consanguinité, pour les biologistes. Nous organiserons un tour de garde cette nuit. La dépouille de cette bête pourrait attirer d’autres prédateurs.


***


La météo est de leur côté encore le lendemain pour la grande traversée jusqu’à la péninsule, érigée du Sud au Nord, qui sépare le lac Michigan de Green Bay. Ils passent à nouveau la nuit près de Egg Harbor, où, cette fois, un lapin récemment piégé dans un collet de Mark, régale la troupe le soir de son rôti à la broche. La tension augmente en chacun des co-équipiers, comme des voyageurs, trop longtemps partis, ressentiraient la proximité du but de leur voyage. Il leur tarde de raconter leur épopée et de retrouver la sécurité et l’intimité de leurs foyers.

Après une escale intermédiaire, c’est le jour d’après qu’ils arrivent en vue de Milwaukee. Peter, très impatient, s’agace à chaque contretemps – vent contraire, batteries des panneaux solaires à recharger, colline à contourner – qui retarde leur arrivée dans sa ville d’adoption. Tris, amusée, le comprend. En y réfléchissant, jamais, depuis son « arrivée », elle n’a été séparée de Tobias pendant aussi longtemps, et elle compatit avec Peter. Son impatience n’est pas feinte et Tris peut sentir son énergie s’envoler vers la jolie Beth, et le bébé qu’elle porte. Le lac est très agité à leur arrivée. Des vagues d’un mètre secouent la surface, poussées par le vent humide et obligent l’équipe à un trajet terrestre, légèrement plus long et précautionneux. La montée des eaux du lac n’est pas encore vraiment visible, chaque vague qui s’écrase sur l’étendue autrefois sous-marine de la côte la plus proche de la grande cité empêchant réellement de comparer avec la position de l’eau lors de leur départ. Des repères seront posés dans les jours prochains qui permettront un véritable suivi du remplissage.


Malgré l’avancée significative des travaux de perçage des grandes ouvertures dans la gigantesque clôture ceignant Milwaukee, l’Hovercraft doit encore passer par l’entrée Sud de la ville, non sans longer le mur et saluer à grands gestes les personnels mobilisés sur les chantiers.


Ingénieurs, membres du gouvernement, curieux et personnel médical sont regroupés sur l’aire d’accueil de l’aéroglisseur. Comme pour le départ, une passerelle est glissée sur le bord des panneaux solaires. Peter s’éjecte plus qu’il ne quitte l’embarcation pour sauter dans les bras ouverts de Beth, sur le quai. Il semble à Tris, seconde à sortir du véhicule, que sa grossesse s’affiche avec plus de clarté : Beth porte un pantalon à taille élastiquée et un débardeur très court qui laisse apparaître les prémices d’une rondeur délicieuse. Elle rayonne de bonheur de revoir son époux. Peter se tourne vers le chef de son gouvernement qui lui adresse une chaleureuse poignée de main. Ce dernier accueille ensuite le reste de l’équipe.

  • M. Eaton, Mme Reyes m’a fait parvenir vos comptes-rendus de voyage ! Je vous félicite !

  • Vous recevrez mon rapport final. Merci mais chacun des membres de cette équipe a été un pilier indispensable à la réussite de cette mission. Vous serez aux premières loges pour accueillir à nouveau le lac aux portes de la ville. Chicago aura besoin de toutes vos observations et de l’expérience que vous tirerez de ce retour de l’eau.

  • Naturellement, nous resterons en contact et j’espère que vous poursuivrez le travail entrepris avec Peter dans le domaine des échanges informatiques ?

  • C’est prévu, confirme le jeune leader.

  • Avez-vous besoin d’une assistance médicale après ce long voyage ?

  • Tris a été sauvée de la noyade par mes co-équipiers. Mais je pense qu’aucune assistance urgente n’est nécessaire. Des analyses complètes seront réalisées sur chacun de nous à notre arrivée à Chicago. Je pense qu’il serait prudent d’y soumettre Peter également, nous ne savons pas quelle fragilité a pu provoquer notre isolement sur nos organismes.

Mark reste à bord avec Christina. Il retire la passerelle et, sous le regard étonné du chef du gouvernement, fait faire un demi-tour à l’aéroglisseur contre le quai de fortune, soulevant des exclamations de surprise quand le puma offre sa fourrure inerte aux regards des hôtes.

  • Qu’est-ce-que c’est que ce fauve ? s’exclame le dirigeant de Milwaukee.

  • Un cadeau, si vos biologistes sont intéressés par l’étude d’un puma de l’île de South Manitou dont l’espèce vit sans doute en autarcie dans ce milieu. Ce félin a attaqué l’un de nous, nous étions sur son territoire, Tris l’a abattu.

  • Eh bien, jeune homme, rappelez-moi de ne jamais contrarier Tris !

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