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Fanfiction Divergente 4 - Résurgence, Chapitre 43

CHAPITRE QUARANTE-TROIS

L’aéroglisseur évolue en direction du magistral barrage, sur le lac Michigan, mais à plus de vingt mètres en dessous de son niveau d’origine, qui est surélevé de l’autre côté du pont, là où prend naissance le lac Huron. Un champ de force bouillonnant colossal haut de trente mètres, dont le souffle grésillant étouffé commence à leur parvenir aux oreilles, retient l’eau du lac Huron, quarante mètres sous le niveau de la route sur le pont. De ce fait, ils se trouvent, eux, à près de cent mètres en dessous du tablier. De là où ils se trouvent, le mur magnétique, aussi long que le pont, forme une sorte de vitrine d’aquarium géant, blanchâtre et mouvante comme la surface d’une eau frémissante. Tous les cent mètres environ, un abaissement en créneau de la hauteur du champ de force provoque une succession d’énormes cascades déversant dans le lac Michigan, dans un énorme brouillard d’écume et d’embruns, le surplus d’eau que ne peut absorber le lac Huron pour rester à son niveau surélevé. Le barrage, magnétique comme Tobias l’avait supposé, est plus impressionnant qu’ils ne pouvaient l’imaginer.


Pétrifiée, Tris réalise qu’ils se trouvent derrière un mur retenant des millions de mètres cubes d’eau, qui pourraient se déverser en quelques secondes dans leur lac, sur eux, si le champ de force était interrompu. Il lui semble qu’un étau l’enserre soudain et l’empêche de respirer. Son sang quitte son visage et près de lui, Tobias la voit chanceler. Il l’attrape par la taille.

  • Tris, ça ne va pas ?

  • L’eau… il faut partir, si le champ de force est coupé… Si quelqu’un commande encore tout ça… Ne restons pas là, vite ! S’il te plaît, partons !

  • Hey, calme-toi, lui répond-il en la serrant dans ses bras. Ce barrage fonctionne depuis plus de deux siècles, pourquoi se couperait-il aujourd’hui ?

Mais Tris, terrifiée, tremble de tous ses membres, tétanisée par la peur irrationnelle de son impuissance contre l’eau, accentuée par la noyade qui a failli leur coûter la vie dans les souterrains de Chicago. C’est le cauchemar des simulations, transposé dans la réalité. Tobias lui saisit le visage dans les mains et lui intime l’ordre de reporter son attention sur lui :

  • Tris ! Regarde-moi ! Qu’est-ce-que tu ferais si tu savais que ce barrage va céder dans une heure !? Que ferais-tu, là, maintenant, si on devait mourir bientôt ?!

La jeune femme terrorisée regarde son petit ami avec des yeux fous, embués. Elle cramponne son tee-shirt dans ses poings serrés. Le souffle court et sifflant, sa poitrine se soulève à un rythme rapide, en proie à une crise de panique, comme Quatre l’instructeur en a vu des dizaines pendant l’initiation des novices.

  • Souviens-toi de la simulation, Tris ! Gérer ce qu’on a devant soi ! Tu es une Audacieuse, sois courageuse ! Réponds-moi, insiste-t-il fermement, mais avec autant de douceur que requiert la sourde peur de la jeune fille. Que ferais-tu si on devait mourir bientôt ?

  • Je… t’aimerais, par tous les moyens possibles.

  • Alors fais-le ! Tout de suite ! ordonne le jeune homme.

Tobias enlace fougueusement la jeune fille et l’embrasse passionnément. Enrobée d’un vertige dont elle ne sait plus trop l’origine, le barrage ou cette étreinte, Tris finit par céder à la chaleur du baiser du jeune homme, comme toujours. Ses mains lâchent son vêtement et entourent son buste pour remonter dans son dos. Elle répond avidement à ses caresses.

  • Quatre ! Tu crois vraiment que c’est le moment ? raille Peter en regardant, étonné, le couple s’embrasser à pleine bouche.

Mais Mark lui pose une main sur le bras et lui fait un signe de tête en montrant Tris, toujours tremblante, dans les bras du chef de l’expédition. Peter comprend subitement le comportement étrange de son leader, et fait le rapprochement avec l’attitude qu’il a observée la veille sous la bâche.

  • Laisse-les, Peter, suggère Mark.

  • L’eau ? s’étonne le futur papa. C’est une des peurs de Tris ?

Mark opine du chef. Christina les attrape par la manche pour les écarter du couple de quelques pas.

  • Tris a une volonté infernale, elle va surmonter ça dans quelques minutes, confirme la jeune Audacieuse. Peter, tu es dans l’informatique. Est-ce que ce barrage monstrueux est contrôlé par ordinateur ?

  • Sans doute. Il doit y avoir, d’un côté ou de l’autre du pont, un poste de contrôle protégé qui permet de gérer ce monstre. Je suggère de rejoindre la terre. En fin de compte, Tris a raison, c’est flippant ce barrage.

  • Oui, mais de quel côté ? demande Mark.

  • Si on en croit les infos anciennes, à la sortie Nord du pont, il y avait une ville, Saint-Ignace. Au Sud, c’était un village, Mackinack City. Logiquement, s’il doit y avoir une vie humaine organisée, il y a fort à parier que ce serait plutôt dans la ville que dans le village qu’elle a été concentrée, réfléchit Peter à voix haute.

  • Ça se tient, répond Christina. Emmène-nous, Peter.

Le jeune homme se précipite au poste de commande et relance le moteur de l’Hovercraft, puis le dirige vers la côte Nord du détroit. Il jette un œil à son leader, toujours occupé à rassurer Tris et à maîtriser sa panique. S’il avait eu une objection grave à formuler, il serait intervenu au démarrage du véhicule. Mais il n’a pas détaché ses yeux de sa petite amie. Peter suit donc le plan décidé avec Christina, et lance l’Hovercraft vers la côte.


Il ne faut que quelques minutes au bateau volant pour atteindre la berge. Tris semble s’être calmée, elle affiche maintenant un visage déterminé, fermé, crispé, mais elle a retrouvé le contrôle d’elle-même. Christina a fait part à Tobias de leur réflexion, qu’il a approuvée. Toutefois, il invite son équipe à se préparer à un éventuel accueil hostile. Il a le sentiment que, contrairement aux vestiges qu’ils ont croisés jusqu’à présent, cette ancienne petite ville au pied Nord du pont pourrait être encore habitée. Si les couteaux ne quittent jamais les poches dédiées dans les pantalons des explorateurs, ils récupèrent leurs pistolets et Mark place son arc en bandoulière. Peter reste aux commandes, enjoint à réduire la vitesse du véhicule afin qu’une arrivée tonitruante ne soit pas associée à de l’agressivité.


L’intuition de Tobias se révèle exacte. De loin, ils aperçoivent de l’agitation à terre. Tris retourne précipitamment chercher dans ses affaires un tee-shirt blanc qu’elle soulève au-dessus de sa tête à bout de bras, en le laissant voler au vent.

  • Tris ! ordonne Tobias. Ne t’expose pas comme ça !

  • Le drapeau blanc est un symbole de paix ! Ces gens n’ont pas été enfermés dans une clôture pendant des siècles, ils ont forcément la mémoire de ce symbole ! Laisse-moi rester là, Quatre ! argumente la jeune fille, qui a retrouvé sa sérénité et ses réflexes de combattante.

Tris a appelé son petit ami Quatre, signifiant qu’elle s’adresse maintenant au chef de l’expédition. Tobias, réticent, ne veut pourtant pas laisser sa peur de perdre sa petite amie obscurcir son jugement de chef. Elle a raison. Afficher le pacifisme est une idée raisonnable. Il place Mark aux commandes de l’aéroglisseur et encadre à l’avant du véhicule avec Peter, Tris et son message de paix symbolique flottant au vent. Christina reste en embuscade dissimulée derrière la carrure de Tobias.


C’est au ralenti que le soufflant véhicule aborde la terre ferme, sur une plage de sable et de graviers, d’une largeur manifestement supérieure à celle qu’elle était avant la création du barrage. Immédiatement, malgré les ruines de bâtiments par ci par là, Tobias s’aperçoit que c’est le temps et le manque de matériaux qui a détérioré ces constructions, et non la guerre comme dans les grandes villes comme Chicago ou Milwaukee. Cette communauté a dû être épargnée, trop éloignée des laboratoires des apprentis sorciers des cinq grandes villes expérimentales.


Plus la moindre agitation ne les accueille au bord de l’eau, et Peter, sur un signe de Tobias, éteint le moteur et les hélices. Le leader décide de prendre la parole. Suivi par Peter et Tris, il enjambe les boudins, et se place sur le bord des panneaux solaires. Il fait signe à Peter et Tris de le couvrir, et lève ses bras au-dessus de la tête, en montrant ostentatoirement son arme, comme sa petite amie l’a fait avec son tee-shirt, qu’elle a lâché à ses pieds pour mettre sa main sur son arme.

  • Nous sommes des voyageurs et n’avons aucune mauvaise intention ! Nous ne sommes armés que pour nous défendre ! Nous sommes venus pour découvrir le barrage ! Peut-on vous parler ?!

Pendant plusieurs longues secondes, pas un mouvement, pas un bruit ne vient répondre à cette harangue. Tobias jette un œil à Tris, comme pour y puiser une inspiration qu’elle ne cesse de lui transmettre. Le regard de la jeune fille quête une approbation pour intervenir à son tour. Le jeune homme, encore une fois émerveillé par la communication tacite qui les lie, lui répond d’un regard confiant.

  • S’il vous plaît ! crie Tris aussi fort qu’elle le peut. Nous avons fait une très longue route, nous venons du Sud de ce lac, nous aimerions prendre une douche ! Nous vous rendrons tout ce que nous utiliserons ! Nous n’avons pas l’intention de puiser dans vos ressources ! Notre mission est la découverte et l’information !

Quelques secondes supplémentaires s’égrènent sans la moindre réaction des habitants locaux. Tobias se détend malgré tout un peu : si ces gens avaient voulu les agresser, ils l’auraient déjà fait. Ils offrent, debout devant eux, une cible facile.

  • Je n’ai pas plus de succès que toi, glisse Tris à voix basse à son petit ami. Je ne pense pas que ces gens soient hostiles, mais apeurés.

  • Certainement. Je regrette de ne pas avoir pu trouver les mots. Nous resterons ici, mais ne descendrons pas du véhicule pour l’instant, déclare le leader, désappointé.

Tris glisse sa main sous le bras de Tobias pour apaiser la déception qu’elle lit sur son visage. Cette rencontre semblait avoir une grande importance pour lui. D’une main libre, elle caresse la joue de son petit ami et place un baiser léger sur sa barbe de plusieurs jours.


Christina, postée à genoux derrière les boudins, tenait en joue l’horizon, prête à intervenir pour protéger ses amis en cas d’attaque. Elle garde cette position, en protection, pendant que Peter, Tobias et Tris rebroussent chemin pour regagner le centre de vie de leur vaisseau. Soudain, une voix leur parvient :

  • Est-ce que l’un de vous est médecin ? hurle un homme.

Immédiatement, Tobias se retourne et revient sur le bord du véhicule.

  • Non ! Mais nous avons avec nous un botaniste de grand talent ! Peut-être peut-il vous aider avec ses plantes ? Nous ferons notre possible !

  • Vous devrez nous laisser vos armes !

  • Nous n’en avons pas le droit, mais nous les laisserons à bord ! Est-ce que ça vous va ? propose le chef d’équipe.

L’homme, qui était sorti de sa cachette, derrière un gros buisson, y retourne et revient quelques secondes après :

  • D'accord !

Tobias lève la main en guise d’assentiment puis retourne au centre du véhicule.

  • Mark ! Prends tes plantes, tout ce que tu pourras emporter. On enferme les pistolets dans un casier. Tris, prends la tablette ! Christina, aide Mark à porter ses affaires. Peter, aide-moi, on tire la bâche, s’il pleut, ça protègera le carré central. Gardez tous vos couteaux !

L’équipe s’affaire activement à obéir aux consignes vives de leur leader. Christina accompagne Mark à son casier de réserve de plantes. Il place soigneusement dans son sac toutes celles qui peuvent avoir des vertus médicinales, et en remplit aussi le sac de la jeune femme brune. Tris s’affaire dans un casier et y récupère la tablette : Tobias a sans doute l’intention de montrer à leurs hôtes des images à l’appui de leurs futures conversations. Il ne faut qu’une minute au groupe pour obtempérer aux ordres de Tobias. Ils sortent du carré et referment la bâche par-dessus le carré central.


Un comité d’accueil composé d’une demi-douzaine d’hommes s’est approché à une vingtaine de mètres de l’étrange véhicule. Tranquillement, Tobias descend, suivi de son équipe, qu’il précède de quelques pas. A quelques mètres du groupe, il reprend la parole :

  • Merci de nous accueillir, je m’appelle Tobias Eaton, mon équipe me surnomme « Quatre ». Voici Tris Prior, Christina Denvers, Peter Hayes et Mark Couplan. Nous venons de Chicago.

  • Je suis John Donnovan, le responsable du village de St Ignace. Mes amis vont approcher pour vous fouiller, annonce l’homme qui a entamé la conversation.

  • Ok, nous avons tous gardé nos couteaux, ce sont nos outils du quotidien, n’y voyez pas d’agression, complète Tobias.

Les cinq membres de l’équipe lèvent les bras à l’horizontale et laissent deux hommes d’une trentaine d’années leur passer les mains sur tout le corps. Pendant qu’ils terminent leur contrôle, Tobias relance la conversation :

  • Vous avez un malade ? Mark connaît bien les plantes et peut peut-être aider. Il a vécu… dans un village isolé toute sa vie, où les gens utilisaient la nature autant pour la nourriture que pour les soins.

  • Je vais vous emmener, vous comprendrez. Venez ! répond le responsable.

C’est un homme d’une cinquantaine d’années, grisonnant, à la silhouette plutôt frêle, au teint mat. Plutôt grand, il dévisage Tobias droit dans les yeux, d’un air soucieux. Il porte des vêtements élimés mais propres, et des baskets dans le même état. Il invite d’un geste les visiteurs à le suivre, la troupe se met en marche, encadrée par ses accompagnateurs qui détaillent avec curiosité les nouveaux venus.

  • Nous sommes des gens simples ici. Nous n’avons jamais vu arriver de visiteurs par le lac. C’est quoi votre engin ? demande John, piqué de curiosité.

  • Cela s’appelle un aéroglisseur, nous vous montrerons son fonctionnement, si vous voulez, répond Tobias en souriant avec bonne volonté.

  • Merci, plus tard peut-être. Nous… ne savions pas qu’il existait encore des villes habitées dans le Sud.

  • Je comprends. Tout comme nous ne savions pas votre existence non plus. Nous avons tous beaucoup à raconter, reconnaît Tobias.

  • Nous y sommes, entrez, c’est chez moi.

La troupe pénètre dans une jolie maison en lattes de bois blanchies. A l’intérieur, le mobilier est sommaire, mais ordonné. Le groupe entre dans une vaste pièce, lumineuse, occupée en son centre par une grande table en bois. Un long buffet en pin occupe tout un pan de mur, surmonté de plusieurs cadres photos présentant, dans plusieurs situations, les membres d’une famille apparemment unie. Soudain, le cri d’une femme déchire l’atmosphère. En alerte, Tobias fronce les yeux avec méfiance en fixant son hôte.

  • C’est ma fille, elle est sur le point d’accoucher, et ça se passe mal. Pouvez-vous l’aider ? supplie l’homme, le front barré d’une ride profonde.

Immédiatement, Tobias se détend un peu, mais le cri de la femme lui a donné la chair de poule. Elle doit terriblement souffrir et il n’a jamais eu à affronter ce type de souffrance. Il se tourne vers Mark.

  • Mark ? interroge-t-il.

  • Je vais aller voir, si vous permettez. Les femmes accouchaient sans médecin dans mon village, on les aidait comme on pouvait. Il faudrait faire chauffer de l’eau, en grande quantité, au moins trois casseroles si possible. Tris, j’aurai peut-être besoin d’aide.

  • Je peux ? demande Tris à John.

Celui-ci acquiesce et s’engage dans un couloir suivi par Mark et son amie, pendant que deux autres hommes restent avec Tobias, Peter et Christina dans le salon. Dans la première chambre, sur la droite, John entre. Mark reste dans le couloir, attendant que l’homme annonce les nouveaux arrivants à sa fille en couches.

  • Noella, ma chérie, des visiteurs sont arrivés. L’un d’eux peut peut-être t’aider. Tu veux bien qu’il entre ?

  • Ce que tu voudras… répond une voix faible, immédiatement suivie d’un gémissement de douleur.

John fait signe à Mark d’entrer, Tris reste dans l’encadrement de la porte. La jeune mère est luisante de sueur et regarde approcher Mark avec l’abandon que provoque une souffrance trop longtemps endurée. Une femme qui semble être sa mère, lui tient la main droite et tamponne son front d’un linge humide pour tenter de la soulager.

  • Bonjour Madame, je m’appelle Mark. Je ne suis pas médecin vous savez, mais j’ai vu pas mal d’accouchements dans mon village.

C’est la mère qui prend la parole pour expliquer la situation de sa fille :

  • Le travail a commencé hier, mais le bébé n’arrive pas. Ma fille souffre le martyre. Le père est parti chercher un médecin, mais dans un village très éloigné. Nous n’avons pas de voiture, il est parti à cheval.

  • Vous me permettez de regarder ? demande Mark gentiment.

La mère et la fille hochent la tête de concert. La mère se lève pour laisser la place, sur sa chaise, à l’homme de la Marge et rejoint la jeune femme aux si longs cheveux, à la porte.

  • Je m’appelle Tris, Madame. Je suis sûre que Mark va pouvoir soulager votre fille. C’est son premier enfant ?

  • Oui. Je crois que le bébé n’est pas bien placé, c’est pour ça que c’est long, mais je ne sais pas quoi faire pour l’aider, je me sens tellement impuissante !

  • Courage, Madame.

  • Moi, j’en ai, mais ma fille est épuisée et ce n’est pas bon pour le bébé un accouchement aussi long.

  • Vous avez raison, Madame, intervient Mark après avoir palpé le ventre de la future maman. Je pense que le bébé n’a pas la tête en bas. Je crois qu’il est placé en travers.

  • En travers ? Mais c’est terrible, que faut-il faire ? s’apitoie la future grand-mère.

  • Un médecin aurait peut-être pu pratiquer une césarienne, mais je ne saurais pas vous recoudre, dit Mark doucement à la jeune mère étendue près de lui. Ce que je propose, c’est de tenter de tourner le bébé, par manipulation externe du ventre. Je ne vous promets rien, mais je peux essayer. Je l’ai vu faire une fois, dans mon village.

  • Mon bébé va mourir si… il ne sort pas, n’est-ce-pas ? articule faiblement Noella.

  • Pour l’instant, il bouge, je l’ai senti. Mais le risque existe, c’est vrai. Il s’épuise, lui aussi. A quel rythme arrivent les contractions ? interroge Mark.

Justement, la crampe utérine s’annonce et Noella crispe son visage en criant de douleur. Elle envoie un regard suppliant à sa mère.

  • Toutes les cinq minutes environ, répond-elle à la place de sa fille qui tente de dominer sa douleur. Aidez-la, monsieur !

Mark acquiesce.

  • Tris, va voir si on a pu faire chauffer de l’eau. Noella, je reviens, je vais vous préparer quelque chose pour aider à supporter la douleur. Courage ! encourage Mark.

Tris et Mark se retrouvent dans la pièce principale, où Tobias, Peter, Christina et John, assis autour de la table, attendaient en échangeant quelques paroles et en buvant un verre de vin de myrtille. Mais l’homme, soucieux pour sa fille, ne parvient pas à se concentrer sur l’étrange arrivée de ses hôtes. Il se lève d’un bond quand Mark revient dans la pièce.

  • Je vais avoir besoin de l’eau, John, dit Mark avec familiarité, pour essayer de le mettre plus à l’aise. Je vais préparer une tisane qui détendra un peu votre fille et soulagera un peu la douleur. Mais il faut faire naître cet enfant très vite maintenant. Je ferai ce que je peux, mais l’enfant est mal placé.

  • Suivez-moi à la cuisine, répond le responsable du village.

Dans la cuisine, l’eau bout dans trois casseroles. Mark et Tris se lavent les mains puis le botaniste ouvre les sacs et prend ses plantes séchées. Dans l’une des casseroles, il jette de l’écorce de saule. Dans l’autre, il met une poignée de menthe, une de lavande, et une d’ortie et laisse infuser. Dans la troisième, il trempe une serviette réclamée aux parents de la jeune mère. Il laisse un peu refroidir la serviette, l’essore à fond au dessus de l’évier puis la tend à la mère qui surveille chacun de ses gestes avec angoisse.

  • Mettez la serviette chaude sur son ventre, Madame, la chaleur peut soulager un peu la tension des muscles. Il faut laisser les plantes infuser dix minutes. Tris, tu vas devoir m’aider, nous allons essayer de retourner cet enfant dans le ventre de sa mère, pour qu’il trouve la sortie. Tu es prête ?

La jeune femme, très tendue, accepte. Elle compatit avec cette jeune mère épuisée et terrassée par la souffrance. Et surtout, elle veut participer, agir, elle ne pourrait pas rester assise sans rien faire : elle a vu l’énergie de la future mère, faible, encore baisser le temps que Mark était à son chevet. Elle est persuadée que sa vie ne tient qu’à un fil. C’est l’énergie de son enfant, encore vive, qui la maintient en vie, elle en est certaine. Le temps presse. Pendant que les plantes infusent, Mark retourne dans la chambre. Tris prend le temps de glisser au passage sa main sur la nuque de Tobias en lui lançant un petit sourire faible, puis elle suit Mark auprès de la malade.

  • Vous savez, dit John à Tobias, c’est quand j’ai vu votre petite amie vous embrasser sur votre véhicule, que j’ai compris que vous n’aviez pas d’intentions belliqueuses.

Tobias sourit à son hôte.

  • Je ne suis pas étonné. Elle a un don. Tris est merveilleuse avec les gens. Avec tout le monde. On dirait qu’elle sait toujours comment agir pour aider, ou soulager les gens. Elle donnerait sa vie pour en sauver une autre.

Dans la chambre, cette dernière et Mark se sont installés de part et d’autre du lit étroit dans lequel repose la future mère, et retirent la serviette chaude qui reposait sur son ventre.

  • Tris, je crois que les fesses du bébé sont de ton côté, la tête du mien. La manipulation consiste à essayer, par une sorte de massage circulaire, doux mais ferme, à tourner le corps de ce petit pour positionner sa tête vers le bas. Noella, quand j’ai vu faire ça, la mère ne semblait pas souffrir mais cela semblait très gênant. J’essaie, ok ?

Mark positionne les mains de Tris à l’emplacement des fesses de l’enfant et met les siennes derrière la bosse qu’il croit être sa tête. Fermement, il pousse les mains de Tris, posées à plat, vers la poitrine de la mère pour lui montrer le geste, tout en appuyant, lui, doucement vers le bas, dans le creux situé derrière la tête de l’enfant. La mère grimace. Après un premier cycle de mouvements, il fait signe à Tris de recommencer une fois. Patiemment, lentement, les mains posées à plat sur la peau de la mère persévèrent pour faire pivoter l’enfant. Après ces deux mouvements, Mark palpe à nouveau le ventre gonflé.

  • Noella, je crois que ça marche ! Je vous laisse quelques minutes, on ne peut pas faire ça pendant une contraction. Je reviens avec une tisane qui va vous aider un peu. Et puis nous reprendrons, ok ?

Tout en grimaçant et se cambrant sous l’assaut de la contraction, la mère envoie un regard reconnaissant à Mark. Tris, elle, sent qu’elle reprend un espoir qui commençait à la quitter peu à peu : son aura se regonfle imperceptiblement.


Deux minutes plus tard, Mark revient avec un bol de tisane. Il place aussi un linge imbibé de la seconde tisane qu’il place sur le ventre, pour favoriser un apaisement transcutané aussi de la douleur. Il soutient doucement la tête de la jeune mère pour qu’elle boive l’infusion d’écorce de saule :

  • Buvez, ce n’est pas bon, c’est amer, mais ça vous soulagera. Je vous apporte juste après une autre tisane apaisante aussi, et qui aura meilleur goût. Allez, buvez.

Docilement, la mère avale le breuvage en grimaçant de dégoût. Mark tend le bol à la mère de la jeune femme, pour qu’elle le remplisse de la deuxième tisane passée au chinois. Elle revient une minute plus tard d’un pas rapide avec un second bol d’infusion. La jeune femme avale la seconde boisson avec soulagement. Mark tend le bol vide à la femme debout près d’elle puis, d’un regard, invite Tris à reposer à nouveau ses mains sur le ventre de la mère pour continuer le travail de pivot. Lentement, fermement, dans une intense concentration, les deux amis manipulent les bosses sous la peau, persistent, poussent avec une douceur insistante. Mark sourit, il est sûr que l’enfant n’est plus dans le même axe, il oblique vers le bas. Même s’il s’est trompé et que le bébé se présente en siège, il aura plus de chances de survie que s’il était resté en position traverse. Sans césarienne, l’enfant, et peut-être la mère, auraient été condamnés. Après deux poses pour laisser passer les contractions, et deux cycles de massages, Mark et Tris, luisants de sueur tant due à l’effort de pression douce qu’à la tension nerveuse, respirent enfin. Tris a l’impression d’avoir été en apnée pendant dix minutes. Mark palpe doucement le ventre de la mère.

  • Je crois que ça y est, Noella, le bébé est vertical ! dit-il prudemment. Comment vous sentez-vous ?

  • Je suis si fatiguée… mais je crois… oui, je crois que ça appuie plus fort en bas… articule-t-elle faiblement.

  • C’est très bon signe, ça veut dire que votre enfant vous aide, il veut vivre et découvrir le visage de sa mère. Madame, vous sentez-vous capable d’essayer d’ausculter votre fille pour savoir à combien est ouvert le col ? demande-t-il à la mère de la jeune femme.

Affolée par cette perspective, la mère fait un signe de dénégation.

  • Alors Noella, c’est vous qui devrez nous renseigner. Je pense qu’il faut que vous essayiez de pousser une fois, pour placer votre bébé en position. Je peux sortir si vous voulez.

  • Vous… non, restez ! Aidez-moi à accoucher, je vous en prie ! geint la jeune mère.

  • D’accord. Alors écoutez Noella. Vous allez soulever votre tête, Tris va vous aider à la soutenir. Vous prendrez une grande inspiration, et vous attraperez vos chevilles puis pousserez fort vers le bas, en même temps qu’une contraction, le plus longtemps possible. Ayez confiance en vous, vous y arriverez !

La jeune femme acquiesce avec courage, et quand son ventre se tend, elle plie les genoux, relève la tête, agrippe ses chevilles écartées et pousse de toutes ses forces en criant. Placé face à elle, Mark observe la vulve s’entrouvrir. Fou de joie, il aperçoit une touffe de cheveux aussi noirs que ceux de sa mère.

  • Génial, Noella, ça a marché, le bébé est dans le bon sens, et il arrive !Il a plein de cheveux ! Vous êtes formidable, continuez !

Derrière lui, la mère de l’accouchée s’est positionnée en prière muette, mains jointes, les larmes ruisselant sur ses joues. Elle retient sa respiration, en parfaite empathie avec sa fille au cœur de son effort. Noella, après une courte pause pour reprendre son souffle, sent la pression exercée par son enfant sur son bas ventre. Elle reprend une goulée d’air et se redresse à nouveau dans un effort colossal pour expulser son bébé.

  • La tête est sortie ! Merveilleux Noella, plus qu’un petit effort et je pourrai saisir ses épaules !

Dans un dernier effort, la courageuse jeune femme, écarlate, pousse une nouvelle fois de toutes ses forces. Mark glisse ses doigts sous le bras du bébé émergeant à peine de son berceau de chair, profitant de la poussée de sa mère dont il sait qu’elle ne durera pas longtemps. Noella est à bout de forces. Mais la poussée est suffisante et Mark peut tirer le bébé hors du ventre de sa mère et le poser sur elle, alors que celle-ci se laisse retomber sur l’oreiller, éreintée et à bout de nerfs, en larmes. Mark saisit une serviette et frictionne le bébé couvert de graisse blanche et de filets de sang. Soudain, celui-ci respire et s’égosille en un puissant cri aigrelet et tremblotant.

  • Noella, vous avez été merveilleuse, vous avez un petit garçon !

Tris, bouleversée, les mains sur sa bouche pour contrôler ses émotions, pleure doucement, à genoux à côté du lit de la jeune mère, qui hoquette de fatigue et de soulagement, en tenant son fils contre elle.


Dans le salon, au premier cri de l’enfant, tout le monde a bondi sur ses pieds comme pour honorer la nouvelle vie, et le père de la jeune mère s’est rué dans le couloir. Il fait irruption dans la chambre, entrevoit sa fille en larmes, mais souriante, et le petit bout d’homme qui s’époumone sur son ventre. Il lâche un sanglot convulsif et prend sa femme dans ses bras pour partager l’émotion qui le submerge.


Mark, lui, pince le cordon ombilical près du nombril du bébé avec deux fines bandes de tissu déchiré, puis sépare l’enfant de sa mère en coupant le lien. Il récupère le placenta que vient d’expulser la jeune mère, et l’évacue à la cuisine, enveloppé dans un linge. Ses comparses le regardent passer dans le salon, concentré sur son précieux paquet, d’un air sidéré. Il se lave soigneusement les mains, encore ahuri de ce qu’il vient d’aider à faire. Quand il revient, il s’adresse à la grand-mère :

  • Il faut laver le bébé Madame, si vous avez une bassine, vous pouvez utiliser l’eau chaude de la troisième casserole, en la coupant d’eau froide. Puis il faut le mettre au sein le plus vite possible.

Mais il n’a pas le temps de finir sa phrase, la femme se jette à son cou pour le serrer contre elle, secouée de sanglots irrépressibles. Tris, elle, sort comme une automate de la chambre, laissant la jeune femme et son père ensemble. Ses mains posées sur sa bouche dans une attitude de recueillement ébahi, Tris est complètement bouleversée par cette extraordinaire naissance. Tobias, l’apercevant dans le couloir, la rejoint en trois enjambées et l’enlace.

  • Ça va ? Comment vont-ils ? s’enquiert-il, inquiet de l’immobilité inhabituelle de sa petite amie.

Il soulève son menton pour mieux la voir, mais si Tris semble pétrifiée, ses yeux sont éclatants et rient aux larmes. Il pose un baiser sur sa joue et la serre contre son cœur.

  • Elle… Quelle force a eue cette maman ! Tobias, tu aurais vu ça ! Je n’ai jamais rien vu de tel ! Une épreuve de force autant qu’un déferlement d’amour, c’était… tellement difficile ! Une guerre ! Mais en même temps… tellement beau ! Mark… a été génial. Et c’est un petit garçon… qui semble plein de vie !

  • Bravo Tris, toi aussi tu as été très courageuse, tu ne cesseras jamais de m’étonner… murmure Tobias contre son épaule.

Tout près d’eux, l’épouse de John, épanouie, s’approche avec un paquet de serviettes dans lequel le petit bonhomme prend doucement des couleurs et essaie d’ouvrir comiquement ses petits yeux gonflés. Le couple sourit à la brave femme et s’écarte pour la laisser aller faire la toilette du nouveau-né. Mark apparaît juste après, souriant. Tobias lui porte une virile claque dans le dos.

  • Bravo, gars ! Encore un talent à ton actif !

  • Ouais, ben ça, j’en ferais pas une habitude ! répond Mark, gêné.

Comme John sort de la chambre de sa fille, très heureux, le sage-femme improvisé en profite pour l’avertir :

  • Votre fille doit voir un médecin, je ne suis pas capable de savoir si tout s’est bien passé… à l’intérieur. Gardez le placenta dans une bassine d’eau. Je sais que le médecin le scrutait sous toutes les coutures après un accouchement.

  • J’y vais. Merci Mark, pour ce que vous avez fait, quoi qu’il arrive aujourd’hui, nous vous serons toujours reconnaissants. Mon gendre devrait arriver ce soir ou demain, avec le médecin j’espère. Vous êtes chez vous dans ce village… Merci… dit le nouveau grand-père, ému, en lui serrant vigoureusement la main. Comment peut-on vous prouver notre reconnaissance ?

  • Comme Tris vous l’a dit, nous apprécierions une douche, et… vous demander quelques informations sur le barrage. Nous sommes là pour ça.

  • Pour la douche, pas de problème. Quant au barrage, si vous y comprenez quelque chose, vous seriez le premier…

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