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Fanfiction Divergente 4 - Résurgence, Chapitre 4

CHAPITRE QUATRE

Tobias allume le système et s’assied devant sa rangée d’ordinateurs. Chaque carré de verre devant ses yeux lui semble grimaçant. En quelques touchers sur les écrans de verre transparents, la première vidéo est chargée. Un geste de plus et elle démarrera. Les coudes sur la console grise, et les mains sur les joues, il sent son cœur battre dans sa poitrine. Ses doigts tambourinent nerveusement sur ses pommettes. Il sait que s’il commence, il ne pourra plus arrêter, ni refuser de s’impliquer dans la vie de Tris.


Sa Tris aurait foncé, sans se poser de questions, par folie, ou par foi, ou les deux. Toujours dans l’action, l’espoir, le don de soi. Il la revoit courant après le train emportant ses amis vers le jeu de guerre, à la fin de la première phase de son initiation. Percluse de douleurs, couverte d’ecchymoses, mais déterminée et les cheveux dans le vent. Jamais il ne l’avait trouvée plus belle.


Jamais il n’aurait cru pouvoir aimer autant.


Son doigt effleure l’écran et la première vidéo se lance.


Il reconnaît la grande pièce dans laquelle reposait le clone quand il l’a découvert, dans un grand bac, flottant dans un liquide amniotique artificiel. Mais là, l’aquarium a disparu, la jeune fille dort, sur un lit médicalisé, la tête appuyée sur un gros oreiller. Bouche bée, Tobias garde les yeux figés sur ce visage, qu’il a regardé tant de fois dormir près de lui il n’y a pas trois ans. Le même visage que dans son souvenir, à peine plus jeune, peut-être.


Caleb, en lucarne, commente les images :

« Nous avons informé Tris de son identité durant son sommeil, en lui expliquant notre décision et en lui présentant comme un choix affectif. Son cerveau réagit à son prénom, nous le pensons donc acquis. Elle est également informée de ses origines et des conditions de son existence.


Un liquide, chargé de perfluorocarbones, a été introduit dans ses poumons, et lui a assuré depuis le stade post fœtal un apport en oxygène intensif, qui a contribué à concentrer sa croissance et son évolution sur une période rétrécie. Les mécanismes biologiques de la croissance accélérée des enfants entre la naissance et 4 ans, puis des fillettes à la puberté ont été appliqués à l’ensemble de sa croissance.


Tris ayant été allongée depuis le début de son existence, non soumise à la gravité autant qu’un individu en station debout, elle s’avère plus grande que ne l’était Beatrice. Ce phénomène a été accentué par la très longue période de sommeil dans laquelle elle est plongée, cet état stimulant la production d’hormone de croissance. Elle pourrait cependant perdre quelques centimètres après quelques mois en station debout.


Un traitement antalgique lui a été dispensé pour lui éviter les douleurs dues à cette croissance très rapide. Ses os présentent une densité normale par rapport à celle d’une jeune fille de dix-sept ans. Elle a reçu pendant toute sa croissance, des apports calciques importants et la production de mélatonine a été stimulée afin de renforcer son squelette.


Elle bénéficie depuis plusieurs mois d’exercices sous forme d’électro-simulation afin d’éviter l’atrophie musculaire. Depuis qu’elle vit en statut aérien, des exercices quotidiens de kinésithérapie, commentés et expliqués, ont été ajoutés, destinés à tonifier les muscles porteurs et préhenseurs notamment.»


Illustrant les explications de Caleb, des photos des exercices, des soins, apparaissent en lucarne sur la vidéo. Tris a été habillée de vêtements ajustés et confortables, changés chaque jour par une assistante, qui, Tobias le voit sur la vidéo, s’adresse à elle comme à une patiente normale, ponctuant ses entrées de politesses, de commentaires sur l’actualité, de détails sur sa tenue, ou sur le programme de la journée.


Tobias, coudes sur la table, menton appuyé sur ses mains jointes, papillonne du regard sur les photos, incrédule.


« Nous avons transmis à Tris les connaissances scolaires et sociales d’une jeune fille de dix-sept ans. » continue Caleb. « Avant cela, nous avons procédé à un apprentissage qui reprendrait toutes les bases du langage, de la culture, de l’éducation moyenne des jeunes dans notre société. Elle risque toutefois au réveil de souffrir de dysphonie ou de mutisme akinétique. Une rééducation par orthophonie est prévue. Elle a déjà reçu des informations relatives à sa santé et au suivi dont elle bénéficiera dès qu’elle le pourra. L’intensité de la lumière est progressivement élevée dans la salle de réveil afin d’habituer ses yeux à travers les paupières, un cycle équivalent à celui d’une journée est respecté. Le système est réglé pour abaisser la lumière dès qu’elle ouvrira les yeux, afin de ne pas l’éblouir. Son accoutumance à la lumière sera nécessairement progressive. L’audition de Tris est particulièrement développée, comme le serait celle d’une personne aveugle, qui aurait privilégié la perception par ses autres sens. Tous les jours, elle reçoit des informations sur la vie quotidienne. Des livres lui sont lus, sur des sujets variés.


Depuis plusieurs semaines, nous nous appliquons à transmettre à Tris des bribes d’histoire familiale, d’histoire sociétale. En utilisant les méthodes utilisées par les ex-Audacieux lors des exercices de simulation, nous avons établi une connexion entre mes souvenirs et l’esprit de Tris. L’idée est de lui donner un aperçu de ce que la vue lui fera découvrir. Couleurs, notion d’espace, distances, etc.


Suite aux informations recueillies, et compte tenu du développement normal de notre patiente, Tris a été sortie du bain amniotique : ses poumons se sont vidés du liquide qu’ils contenaient en partie par pompage puis diffusion dans le corps…»


Soudain, un chercheur fait irruption dans la salle de réveil, interrompant l’exposé de Caleb.

  • Caleb ! Les signes vitaux de Tris ont évolué ! Je pense qu’elle est sur le point de se réveiller !

Caleb jaillit de son siège, en coupant la vidéo. Tobias, lui, sortant de sa torpeur hypnotique, se lève de son siège avec peine, en prenant appui sur ses mains, la tête basse et les yeux fermés, abasourdi.


La tension de toutes ces révélations est trop lourde à porter pour le jeune homme. Il fait les cent pas dans son appartement pour se donner une contenance. Vingt minutes après le message alarmiste qu’il lui a envoyé, Christina frappe à la porte de son appartement. Il ouvre sur le visage soucieux de son amie :

  • Qu’est-ce-qui se passe Quatre ?

  • Viens. Tu vas voir, répond nerveusement Tobias en fermant la porte.

Il s’assoit et cherche quelques secondes comment lui présenter les choses. Phalanges contre phalanges, les avant-bras postés sur les accoudoirs, il fait pivoter son fauteuil de droite à gauche, de gauche à droite. Ses zygomatiques se contractent à intervalles réguliers et la jeune fille sait ce que ça veut dire : au mieux, Tobias est contrarié. Au pire, il s’est passé quelque chose de grave. Connaissant ses talents d’Audacieux et sa capacité à gérer les situations en période de stress, elle craint la seconde solution.

  • Tu vas me dire ce qu’il y a, à la fin ? s’impatiente Christina.

Elle observe son ami. Son teint est pâle et défait, ses yeux cernés avec des poches bleutées sous sa paupière.

  • Tu devrais t’asseoir, lui dit-il en désignant un fauteuil d’un geste de la tête. La vérité toute nue, hein ? C’est ça ton crédo ?

  • Tu me fais peur Quatre ! dit-elle en s’asseyant.

  • Avec raison. C’est Caleb, et tout un tas de scientifiques avec lui. Ils ont…

Tobias marque une pause, la gorge serrée, puis il lâche dans un souffle :

  • Ils ont cloné Tris.

Christina jaillit du fauteuil comme un diable d’une boîte en criant :

  • Quoi ?? T’es cinglé !

  • Regarde, tu verras, articule faiblement Tobias.

Le jeune homme appuie à nouveau sur la touche qui avait lancé la première vidéo, et se retourne vers son amie. L’ancienne recrue de l’instructeur tourne la tête vers l’écran, et découvre ahurie le clone de Tris, allongé sur le lit, et en lucarne, Caleb enregistrant son compte-rendu. Les photos défilent devant les yeux de Christina, muette de stupéfaction. En bas de l’écran, la date, et un chronomètre égrène les secondes de l’enregistrement. Ses jambes ne la portent plus, elle se rassoit comme au ralenti, sans détacher les yeux de l’écran.

  • C’est impossible… murmure-t-elle d’une voix inaudible. Quatre, qu’est-ce-que c’est que ce monstre ?

  • Selon eux, un être humain… comme toi et moi, un sosie de Tris.

  • Ils te mènent en bateau, encore une fois !! Tu vas pas gober ça ? crie la jeune femme.

  • Christina, je l’ai vue.

  • Hein ? Tu l’as vue ? Mais quand ? en se relevant à nouveau dans un bond.

  • Ça fait deux mois, Caleb m’a fait venir au centre. Je l’ai vue, dans un état végétatif.

  • Deux mois ? Deux mois que tu sais ça, et tu m’as rien dit ?? Tu te fous de moi ?

Le visage déformé par la souffrance, Tobias se lève d’un bond, lui fait face et s’emporte :

  • Tu crois que c’est facile ? Que j’ai appris ça la fleur aux dents ? Je n’arrivais pas à y croire !Tu réalises ce que ça m’a fait ? lâche-t-il en montrant l’écran du doigt.

Christina se rassoit, écrasée par la rage douloureuse de son ami, et continue de regarder la vidéo, bouche bée. Tobias reprend plus doucement :

  • Je n’en dors plus. J’espérais presque qu’ils n’arriveraient pas au bout de leur expérience.

  • Pourquoi tu ne m’as rien dit ? articule Christina, les larmes aux yeux.

  • S’ils n’avaient pas pu réussir, à quoi bon te faire du mal comme moi ça m’en a fait ? articule l’assistant de Johanna, la gorge nouée par l’émotion.

  • Et, ils… ils ont réussi ? expire son amie.

  • Caleb m’a dit qu’elle était réveillée, depuis plus d’un mois.

  • C’est pas possible, souffle Christina pour elle-même, la voix embuée.

  • Il m’a envoyé des vidéos, je n’ai pas pu trouver la force de les regarder avant ce soir. Et je n’ai pas pu aller au-delà de la première, que tu vois là.

  • Tu as pas vu la suite ? lui demande la jeune fille.

Tobias secoue la tête.

  • Non. Je… Je n’ai pas pu. Je sais même pas si je veux. J’avais besoin de partager ça, c’est… trop lourd.

  • Tu parles…. Je sais même pas si c’est formidable ou horrible !

  • Moi non plus. Je ne veux pas revivre… les pires moments. Pas une deuxième fois.

Pendant quelques minutes, Christina poursuit le visionnage de la vidéo. Tobias, dos à l’écran, ne regarde pas, penché en avant, les coudes sur les genoux et la tête dans les mains. Il écoute, les yeux fermés, le débit de Caleb synthétisant l’incroyable nouvelle. La voix lui semble se multiplier dans la pièce, comme s’il avait été drogué. Peut-être a-t-il mal compris ? Il lui apprend en fait que ça n’a pas marché ? Mais non, ses propos ne changent pas, Tobias entend pour la deuxième fois ce qu’il n’aurait jamais pu imaginer. Tris est revenue, d’une certaine façon.


La vidéo s’arrête sur l’interruption brutale de Caleb. Christina se tourne vers Tobias, hébétée.

  • C’est tout ? articule-t-elle.

  • Je ne sais pas, je n’ai pas regardé la suite, lui répond son ami, les sourcils contractés.

Mets-la.

  • Je sais pas.

Christina se lève du fauteuil et en deux enjambées, elle se campe devant son ami, le relève de son avachissement et plaque ses épaules au fond du siège. Le visage mat de la jeune femme a pris les expressions guerrières des Audacieux sur leur ring.

  • Trop tard pour reculer ! martèle Christina.

  • Je n’ai rien demandé, je n’ai pas participé, Caleb m’a imposé ça, soi-disant parce qu’il avait besoin de moi, répond Tobias en la fixant d’un air sombre.

  • Comment ça « besoin de toi » ?

  • Caleb a transmis à… ce clone, par simulation, les souvenirs qu’il a en commun avec Beatrice : enfance et jusqu’à la cérémonie du choix. Mais depuis son arrivée chez les Audacieux, il n’a presque plus rien.

  • Et toi tu as tout !

  • Oui.

Christina baisse la tête une seconde, puis argumente :

  • Moi aussi, j’ai des choses, tu n’étais pas toujours avec nous, pendant l’initiation.

  • Tu voudrais contribuer à… ça ? s’indigne Tobias en désignant l’écran du doigt.

  • Pas toi ? Quatre ! Réfléchis une seconde ! C’est trop tard, jamais tu n’oublieras, ni Tris, ni ce clone. Tu te rongeras jusqu’à la fin de ta vie ! Qu’aurait-fait Tris ? Qu’a-t-elle fait quand elle s’est trouvée devant ce choix sans savoir ce qui l’attendait, ce qui nous attendait tous ?

  • Quel choix ? gémit Tobias

  • La boîte ! Elle ne savait pas ce qu’il y aurait dedans, ni même si ça allait la tuer, comme ça avait déjà tué de nombreux Divergents ! Elle avait le choix entre fuir et tenter le coup. Mais elle y est allée quand même, pour l’espoir. Et elle a eu raison !

  • Et elle est morte ! crie Tobias en se relevant brusquement en bousculant Christina.

  • Et elle a changé l’avenir de milliers d’êtres humains, elle nous a libérés, continue la jeune Audacieuse doucement.

  • Je m’en fous ! Elle est plus là, et elle me manque, chaque jour, chaque seconde ! Je préfèrerais être encore prisonnier des factions, chez les Audacieux, et qu’elle soit près de moi. A quoi bon tout ça, sans elle ??

Le petit ami de Beatrice marche en faisant les cent pas dans la pièce. Christina le suit du regard, les yeux embués.

  • Elle manque à tout le monde, Quatre. Et ça, dit-elle en désignant du doigt l’écran, c’est un espoir, une chance de celles qu’elle aurait saisies sans même y réfléchir une seconde.

Tobias lui lance un regard noir, puis éploré, déchiré entre colère, désespoir et … il ne sait pas trop quoi d’autre. Il passe ses mains dans ses cheveux bruns et courts, sans cesser de marcher nerveusement en tous sens.

  • Tu ne m’as pas fait venir pour que je te dissuade de t’impliquer là-dedans, Quatre. J’en suis sûre, tu m’as demandé de venir pour que je t’aide à le faire. J’ai raison, hein ?

Christina et ses insupportables vérités sans filtre ! Le puissant instructeur donne un coup de poing rageur dans le dossier de son fauteuil, qui s’emballe dans un tournoiement rapide. Il interrompt la course du siège et s’y laisse tomber sans retenue, en passant ses mains sur son visage.

  • Je ne sais pas quoi faire, gémit-il.

  • Regarder la suite, pour l’instant. Tous les deux. OK ? Tu m’as fait venir pour ça, après, on verra. Allez, lance.

Tobias la scrute, les sourcils froncés, à mi-chemin entre la détresse et la colère, sans un mot. Puis il soupire en fermant les yeux, fait pivoter son fauteuil et le fixe face à l’ordinateur. Ça l’agace, mais elle n’a pas tort, la Sincère. Tris serait allée au bout de l’histoire, quelles que soient les conséquences. Christina pousse son fauteuil vers la console pour se rapprocher et s’y installe.

  • Vas-y Quatre, lui enjoint-elle un brin fermement, en mettant une main rassurante sur son bras.

Dans la pièce de l’expérimentation, Tris, à demi-assise sur son lit, a les yeux ouverts, et la tête tournée vers une jeune soignante, brune aux cheveux mi-longs et lisses, qui lui tient la main dans les deux siennes. Elle lui sourit.


Elle lui sourit !


Ensemble, Christina et Tobias laissent échapper une exclamation de surprise.

Tris a un masque à oxygène sur le nez, la soignante lui parle posément, en souriant. Caleb apparaît en lucarne sur l’écran.


« Tris est réveillée. Nous sommes très très heureux. Ça n’a pas été sans mal.

Le retrait de l’eau chargée en oxygène de ses poumons, que son corps n’a pas absorbé, a été une opération délicate, elle a beaucoup toussé, alors même que nous l’avions sédatée dans une sorte de coma artificiel pour laisser son cerveau au repos, son énergie pouvant ainsi se concentrer sur les autres fonctions vitales. Le sevrage aqueux l’a beaucoup fatiguée, elle est restée sans réelle réaction aux stimuli pendant plus de quarante-huit heures. Nous n’avons jamais cessé pendant ce temps de continuer à lui parler, lui donner des repères spatiaux et temporels, de lui décrire toutes nos manipulations pour l’associer à sa propre vie. Puis nous avons progressivement diminué les sédatifs, tous les curseurs étant au vert.


Elle a gardé plus d’un mois une pilosité assez forte. Nous pensons que c’est l’absence de frottements induisant une destruction naturelle des poils, qui en est la cause. En effet, depuis, ils éclaircissent sur ses bras, ses jambes, et ne se voient presque plus. »

  • Ils l’ont appelée Tris ? balbutie Christina.

  • Oui, Caleb me l’a dit quand j’y suis allé. Ils voulaient favoriser son intégration familiale et une sorte de gémellité avec Beatrice.

« Pour ne pas induire de réaction émotionnelle violente, c’est une soignante, Sandra, qui a réalisé presque exclusivement ses soins, et l’a accompagnée lors du réveil. Sa voix lui était familière. Sandra a une voix douce et rassurante. Elle lui a beaucoup parlé, lui expliquant tout ce qu’elle avait à savoir pour la vie quotidienne. Entre filles, c’est plus simple.


Nous avons été très contents car Tris ne semblait pas avoir peur, à son réveil. Elle essayait de suivre Sandra des yeux dans ses déplacements. Sa vue était mauvaise, elle s’est améliorée de jour en jour, nous avons adapté la lumière de la pièce à ce qu’elle pouvait supporter sans douleurs ou gêne.


Le kiné a donné des consignes à Sandra, pour qu’elle lui fasse faire des mouvements et des exercices de stimulation musculaire, autant que Tris pouvait le supporter.


Sandra a stimulé Tris, lui a parlé et la laissait se reposer quand ses yeux donnaient des signes de fatigue. Nous lui avons donné un rythme équivalent à celui d’une journée normale. En quelques jours, Tris a commencé à sourire, c’était un immense soulagement, nous espérions donc qu’elle ne souffrait pas, ou peu, physiquement ou moralement. Ses muscles faciaux fonctionnent, grâce aux massages du kiné, puis de Sandra. Son sourire n’était donc pas un geste réflexe. »


Dans les fauteuils, Tobias et Christina assistent subjugués à la résurrection de leur amie tant aimée. Les photos la montrent aidée de Sandra pour les séances d’exercices musculaires.


« Tris a été tout d’abord alimentée par perfusion, puis progressivement par voie orale. Nous avons attendu pour cela qu’elle ait un certain tonus musculaire lui permettant de sortir du lit, en fauteuil. »


Une mini-vidéo montre Tris, portée par deux femmes, déposée dans un fauteuil. La caméra croise son regard, attentif, concentré sur l’activité. Ses progrès en quelques jours sont stupéfiants.


« Tris a une volonté incroyable. » poursuit Caleb. « Nous lui avons expliqué dès le début qu’elle aurait du mal à parler, ses cordes vocales ont besoin de rééducation après… toute une vie d’immobilité. C’est avec le chant que ce travail a commencé, car il est plus facile de fredonner que d’articuler des mots. Sandra l’a invitée à faire comme elle. En quelques jours, Tris a voulu l’imiter, a émis des sons, de plus en plus précis, de plus en plus clairs. Nous avons soulagé sa gorge qui semblait douloureuse. Elle fait des efforts énormes pour apprendre et se soumettre aux exercices qu’on lui propose. Les images la fascinent. Après tout ce temps dans l’obscurité, les transmissions visuelles l’enchantent véritablement. Elle dévore les vidéos des yeux. »

  • Quatre, c’est… hallucinant ! Tu vois ça ?

Tobias, étranglé d’émotion, peine à articuler.

  • Evidemment... Christina, garde à l’esprit que ce n’est pas Tris, enfin Tris. C’est quelqu’un d’autre. A part entière, Caleb me l’a dit. Et aussi qu’elle ne pourrait pas nous reconnaître puisqu’elle est née sans mémoire, sans passé, tempère Tobias.

  • Ouais, ben c’est quand même dingue… C’est même pas un monstre, c’est… une femme ! Mets la suite ! J’arrive toujours pas à y croire !

  • Il est tard, tu ne voudrais pas dormir un peu ?

  • Dormir ? Quatre, t’es malade ? On dormira demain, ou après-demain ! Elle a dormi pour nous pendant deux ans ! conteste-t-elle en montrant l’écran du doigt. Envoie la suite !

Tobias esquisse un timide sourire, le premier depuis des semaines lui semble-t-il. La bonne nature de Christina est communicative. Il est content qu’elle soit là. Malgré les souvenirs douloureux qui lui envahissent la tête, il se surprend aussi à ressasser les bons. Le sourire de sa Tris, presque le même que celui de sa jumelle, lui donne un peu de courage.

  • C’est cool que tu sois là, Christina.

  • Et comment ! Jamais j’aurais voulu rater ça, allez lance !

Tobias s’exécute, et lance la troisième et avant dernière vidéo qu’il a reçue. On y voit Tris, assise dans un confortable fauteuil enveloppant, habillé d’un pantalon noir et d’un chemisier blanc à manches courtes, les yeux fermés. Elle est reliée à Caleb, installé de la même façon à côté d’elle, par une électrode fixée sur leur tempe respective. En surimpression, Caleb commente.


« Depuis une semaine, Sandra m’a présentée à Tris. Elle a fait d’impressionnants progrès en expression. Elle parle presque normalement, elle s’entraîne avec acharnement, au point qu’on doit lui demander de reposer sa voix. Sa soif d’apprendre est inépuisable. Elle a aussi un optimisme inébranlable. Elle semble nous faire confiance.


Je lui ai parlé, pour lui expliquer qui j’étais, l’histoire de notre famille, et aussi la sienne. Ne t’inquiète pas, Tobias, je n’ai rien oublié, rien occulté. Pour ne rien te cacher, elle a pleuré. Les larmes l’ont d’ailleurs beaucoup intriguée. Elle a demandé à quoi cela servait, et j’ai bien été en peine de lui répondre ! Aussi curieuse que Beatrice…


Sur ces images, on voit Tris, qui a accepté de se soumettre à la simulation destinée à lui transmettre mes souvenirs communs avec Beatrice. Nous nous sommes assurés qu’elle avait bien compris l’objectif et donné un consentement éclairé. Elle s’est beaucoup agitée pendant la simulation, la violence de ce que nous avons subi pendant la guerre civile l’a bouleversée, même si l’Histoire lui avait déjà été racontée. »


Christina et Tobias, déjà tendus, se figent un peu plus à cette annonce. Ni l’un, ni l’autre n’a esquissé l’ombre d’un mouvement depuis le début de la vidéo. Mais ils réalisent que la simulation a introduit dans la mémoire de Tris des personnes pour lesquelles elle n’avait encore qu’un nom en référence. Cela inclut le jeune homme bien sûr, et Christina. Qu’ils le veuillent ou non, ils sont impliqués dans la vie de Tris maintenant.


« La vision a approfondi sa compréhension de ces événements. Elle a posé beaucoup de questions, après, sur tous les visages qu’elle a pu voir. Elle s’est dite heureuse de voir à quoi ressemblaient nos parents dans la vie de tous les jours.


Elle a accepté aussi de répondre à quelques questions de Matthew. Ses travaux sur la mémoire peuvent autant aider Tris à trier les informations qu’elle reçoit, les interpréter, que faire avancer son étude. Ils se sont vus quelques fois. Il la trouve étonnante. Son esprit structure bien les informations. Elle ne confond pas les données, les gens, et retient les repères temporels qu’on lui propose. Elle est très franche. Comme elle a peu de repères sociologiques, elle ne voit pas pourquoi elle éviterait certains sujets, elle nous fait souvent rire. Elle aurait été Sincère, à coup sûr. »

  • Génial, elle me plaît ! Quatre, tu vois ça, c’est… c’est complètement dingue ! s’exclame Christina en le bousculant sur son siège.

Dodelinant de la tête comme un pantin désarticulé, après la bousculade de Christina, Tobias reste silencieux, le visage presque impassible. A l’écran, Tris sourit à la caméra que lui montre Matthew. Elle semble si jeune, moins mûre que la guerre n’avait obligé Beatrice à l’être. La ressemblance est si flagrante, que Tobias, mis à part la longueur de ses cheveux, et la différence de musculature, les aurait confondues. En détaillant le visage de son ami, Christina se radoucit :

  • Tu tiens le choc, Quatre ?

  • Je ne sais pas trop.

  • Je m’en doute. Dis-moi ce que tu ressens si tu veux.

  • J’en sais rien, j’ai tellement peur d’être déçu. Je suis méfiant de nature.

  • Il faut les aider, il faut aider Caleb, Quatre. Qu’aurait dit notre Tris si on lui avait appris qu’elle avaitune sœur ? Tu sais son dévouement, son jusqu’auboutisme.

  • Ouais, Caleb justement… C’est quoi son objectif, au fond ? Se faire pardonner ?

  • Peu importe Quatre, ce n’est plus le sujet. Ce n’est pas pour lui qu’il faut qu’on s’implique, mais pour Tris, pour les deux Tris, parce que cette fille-là, elle vit, elle est des nôtres maintenant, qu’elle n’a rien demandé, et qu’elle ne doit pas payer pour ce qu’a fait Caleb. Et tu ne dois pas lui en vouloir d’être là, alors que notre Tris ne l’est plus.

  • Je sais, mais… je ne sais pas comment je vais pouvoir me comporter avec une Tris qui n’est pas celle que j’ai connue.

  • Regarde la, elle fait plein d’efforts pour apprendre, on en fera autant. Je sais combien ça sera dur pour toi, mais peut-être aussi que ça apaisera ta peine ?

Tobias garde le silence d’un air dubitatif.


« Ce qui a mobilisé notre attention, biologiquement, c’est l’évolution de ses cellules. Nous guettions des signes de vieillissement prématuré éventuel. Mais jusqu’à présent, aucun signe. Nous sommes confiants pour l’avenir, même si nous ne pouvons pas avoir de certitude absolue.


Tris a eu une poussée de fièvre hier, elle est malade depuis deux jours. Il semble qu’elle ait simplement un rhume ou peut-être un virus de type grippal. Nous surveillons ses défenses immunitaires. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle n’aime pas être malade. Pour la première fois depuis… le début, elle fait parfois preuve de mauvaise humeur, notamment quand elle doit se moucher ou prendre des médicaments. Persévérante, mais pas patiente. Nous avons allégé son programme quotidien pour la reposer et elle s’ennuie ! »

  • Tris tout craché ! rit Christina. Elle tient pas en place !

Tobias ne peut s’empêcher d’être d’accord avec son amie. Il acquiesce d’un air de connivence en levant les sourcils.


« Là, vous pouvez voir sur les photos qu’elle progresse dans la rééducation musculaire. Elle se tient debout et marche, quelques minutes. Elle est très heureuse de quitter par ses propres moyens la pièce qui est son quotidien depuis très longtemps. Nous la sortions bien sûr dans un fauteuil, mais là, elle découvre l’autonomie avec bonheur. Ah, il faut faire attention : elle touche à tout ! Elle ressent le besoin d’associer ses sens. Elle est particulièrement sensible au toucher et à l’ouïe. Elle fait connaissance, un peu comme les bébés, en touchant à tout. Elle a découvert l’eau, la douche, les parfums, on est obligés de la limiter, elle y passerait des heures. Elle dit qu’elle aime l’eau qui coule sur elle, et qu’elle a hâte qu’il pleuve !»

  • La vache, c’était il y a moins de deux semaines ça ! s’étonne Christina. Elle doit avoir le crâne farci avec tout ce qu’elle a appris en si peu de temps !

  • Si elle est comme… Beatrice, elle est d’une persévérance acharnée, elle n’arrêtera pas tant qu’elle n’aura pas atteint son but, complète Tobias.

Prêter un objectif à Tris, c’est déjà lui donner vie, lui donner raison d’exister et une humanité qu’ils n’étaient pas sûrs de lui accorder il y a encore quelques minutes. Mais plus de retour possible… Les deux amis regardent la suite des photos, montrant Tris en exercice, et même, en serviette de bain avant la douche, tout sourire. Et la vidéo s’arrête.


Christina regarde Tobias en souriant :

  • Il faut qu’on apprenne à considérer Tris comme la sœur de Beatrice, c’est ce qu’elle est, en somme. Sa sœur jumelle. Tris aurait pu en avoir une. Comment aurais-tu géré ça ?

  • J’ai déjà du mal à supporter Caleb à cause de leur petite ressemblance… rechigne Tobias.

  • Tu as du mal à supporter Caleb surtout parce que tu le rends responsable de la mort de Tris. Cette Tris-là est bien en vie, tu crois pas que nous devons l’accueillir, comme un miracle ?

  • Nous n’avons aucune idée de l’accueil qu’elle nous réservera, elle n’aura peut-être pas le caractère de Beatrice, ses choix, tout ce qui construit quelqu’un depuis le ventre de la mère – que son clone n’a jamais connu – en passant par l’école, la socialisation, l’Histoire, avec un grand H.

  • Tu peux lui apporter une part de l’histoire de ta Tris, pour l’aider à se construire une famille, glisse Christina.

  • Je n’ai pas nécessairement envie qu’elle voie tout ce que j’ai dans la tête. Comment savoir ce qu’elle en ferait ? se méfie Tobias.

La jeune femme ricane.

  • C’est pas là le problème, tu as des souvenirs plus personnels que d’autres, hein ?

  • Commence pas, Christina. C’est pas drôle du tout.

  • Nan je sais. Mais c’est la vie, et cette Tris a besoin de tout apprendre, de tout connaître de son entourage. Moi, j’ai envie de la connaître, de l’aider. Et toi aussi.

  • C’est tourner le couteau dans la plaie.

  • Peut-être. Au début oui, peut-être. Mais peut-être aussi qu’elle nous aidera, à son tour, à pardonner à la vie de nous avoir enlevé sa sœur ?

Tobias regarde Christina, les sourcils crispés. Puisqu’ils ont commencé, il se tourne vers l’ordinateur et lance la dernière vidéo.


« Tris va bien. Elle a encore beaucoup de choses à apprendre, mais pas plus que quelqu’un qui arriverait à Chicago en n’ayant qu’entendu parler des événements de ces dernières années. Elle s’intéresse aux factions, elle cherche à comprendre. Elle ne passe plus son temps ici, Sandra l’a souvent emmenée chez elle, pour un ou plusieurs jours. Tris ne revient ici que pour la surveillance dont elle fait toujours l’objet, pour nous décrire tout ce qu’elle ressent. Nous surveillons sa vue aussi, elle s’améliore régulièrement.


Tris a demandé si elle pouvait faire elle-même un enregistrement, c’est donc elle qui va poursuivre. »


Tobias et Christina, tendus, retiennent leur souffle à cette annonce.


La vidéo montre Caleb qui se lève et laisse la place à Tris sur le siège, il s’assoit à côté d’elle.


« Tu peux parler, Tris, ça enregistre toujours. » dit Caleb en s’adressant à elle. La jeune fille, un peu gauche, lui demande « Que dois-je dire ? C’est étrange de parler à une caméra, elle ne me répondre pas » dit Tris.


La même voix. Tobias sent les larmes lui monter aux yeux. Il se mord les joues pour rester maître de lui-même. Mais ses zygomatiques se contractent, Christina s’en aperçoit, il n’a jamais pu contrôler ce réflexe et ça a failli lui coûter la vie dans le passé.

« répondra » corrige Caleb. « Non, elle ne répondra pas, mais ce que tu dis pourra être montré à d’autres personnes, pour qu’ils fassent ta connaissance. Si tu en as envie, bien sûr ».


Tris sourit, et se retourne vers la caméra en se sachant pas bien où regarder. Elle porte de petites lunettes noires qui tranchent avec sa blondeur.


« Je suis Tris. Vous le savez déjà. Caleb parle beaucoup à la caméra. »


A côté d’elle, Caleb sourit franchement. Elle énonce un fait avec un naturel déconcertant.


« Je sais qui je suis, comment je suis là. Ce qui est important, c’est que tout le monde voulait que je suis là. Ou plutôt les gens que je connais. Les autres, je ne sais pas.

On s’occupe de moi comme un bébé, je voudrais être utile aussi maintenant. »


Elle se tourne vers Caleb :


« Je ne dis pas ça pour être méchante ! Mais je vais bien maintenant, je voudrais… »


Elle se retourne vers la caméra.


« Je ne sais pas ce que je voudrais. Voir toutes les autres choses que je n’ai pas vues. Je ne suis pas Beatrice. Je ne cours pas à côté du train.»


Christina ne peut s’empêcher de rire. Tobias est immobile.


Livide.


Désespérément heureux. Magnifiquement triste.


« Mais je peux peut-être apprendre d’autres choses ? Je sais que la ville est encore malade, mais elle va guérir, comme moi. J’espère que j’aurai une place avec vous dans la ville. »


Elle se tourne à nouveau vivement vers Caleb.


« Oui ! Je sais ce que je voudrais ! J’ai vu ta bibliothèque, Caleb. Tu travaillais à la bibliothèque. Je voudrais être une fille érudite et aller dans bibliothèque où les gens et les ordinateurs savent tout ! »


Tobias ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire en secouant la tête.


« A la bibliothèque. Nous irons, je vais t’emmener, ou Sandra si tu préfères. » sourit Caleb. Tris lui rend son sourire et regarde la caméra à nouveau.


« Sandra a beaucoup fait pour moi. Elle aussi a une famille, elle veut peut-être avoir du temps seule avec sa famille maintenant. Je dois vivre sans aide, et aider moi les autres maintenant. » Elle fait une pause et fronce un peu les sourcils.


« J’ai vu des choses laides dans la tête de Caleb. Je ne comprends pas la guerre. Les gens étaient pareils pourtant, ils avaient le même corps, même si leur peau n’est pas toujours comme ma peau. Je ne comprends pas pourquoi certains gens ne pensaient pas ça. Caleb a des gens méchants dans sa tête, et plein de gens gentils aussi. Il dit que, parfois, on aime les gens, et parfois, on ne les aime pas. Je ne comprends pas aimer. Mais ça a l’air bien ! »


Christina éclate de rire, la franchise et le naturel de Tris sont rafraîchissants. Tobias sent son cœur se serrer, malgré l’humour et l’expression infantile involontaire de Tris. C’est bien aimer, oui, sauf quand on ne peut plus…


« Je dois encore parler ? » demande Tris à Caleb. « C’est toi qui décides. » répond le jeune homme à côté. « Si on va à la bibliothèque, je parlerai plus tard à la caméra. On doit être poli aussi avec une caméra ? ». Caleb rit « Non, ça va, sauf si tu dois t’adresser à des personnes bien identifiées. Là, c’est un message général, tu n’as pas à être particulièrement polie. Je vais juste finir l’enregistrement. Tu veux bien me laisser la place ? »


Tris se lève et s’éloigne, elle cherche déjà une autre façon de s’occuper. Caleb s’installe à nouveau dans le siège.


« Comme vous avez vu, Tris a beaucoup progressé, malgré certaines fautes et une expression parfois un peu enfantine. Elle est presque autonome pour tout, elle a juste encore besoin de repères sociologiques et comportementaux pour s’adapter au fonctionnement de notre culture. Pour le reste, elle est prête. »


Le doigt de Caleb se tend vers la caméra et l’image se coupe.

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