Fanfiction Divergente 4 - Résurgence, Chapitre 7

CHAPITRE SEPT

• Les anciens Fraternels demandent à pouvoir étendre leurs terres cultivables à l’est de Chicago. Nous avons aussi une demande de création d’une nouvelle exploitation. Un homme appelé Jeremy a fait une demande de terres, il dit vouloir recréer une ferme Fraternelle avec des volontaires désirant se conformer à leurs principes, et développer des cultures sans OGM. Les besoins de la ville augmentent. Les habitants espèrent une diversification de la production, dit Johanna. Il faut aussi leur trouver de la main d’œuvre.

• Peut-être pourrais-tu contacter ma mère, suggère Tobias. Elle est censée avoir fondé un centre de formation pour permettre la reconversion des anciens Sans-faction, des habitants de la Marge qui sont venus s’installer à Chicago, et des personnes qui ont dû changer d’emploi suite à la dissolution des factions.

Hésitante, Johanna n’a pas la moindre confiance en Evelyn, même après plus de deux ans. Mais il n’est pas utile de charger plus encore le moral et les conflits intérieurs contre lesquels se bat Tobias.

• Par contre, poursuit Tobias, je suggère de leur laisser les terres du nord et du sud-est de Chicago, plutôt que l’est.

• Qu’as-tu en tête pour proposer ça ? interroge Johanna. Les terres à l’est sont assez humides, elles dispensent d’usage d’eau en apport extérieur, le plus souvent. Certaines cultures se prêtent particulièrement à ce type de conditions, comme la chicorée dont Chicago fait une grande consommation.

Tobias réfléchit un moment.

• Oui, mais c’est une idée dont on m’a parlé récemment qui me fait dire ça. Traverser Chicago prend maintenant de plus en plus de temps, les transports se sont démocratisés. Si les terres sont au nord, cela permettra de gagner du temps, notamment pour les échanges futurs avec Milwaukee.

• Mais l’ancien quartier des Audacieux en sera le plus éloigné ! objecte Johanna.

• Ce n’est pas le plus peuplé non plus. A l’ouest et au sud ouest, sont concentrés les quartiers réhabilités des Altruistes, la zone commune et la zone des Sans-faction, où la population est dense. Si la main d’œuvre vient de là, le trajet sera moins long jusqu’aux fermes : tout le monde n’y réside pas toute l’année, argumente Tobias.

• En effet. Ton idée est donc de morceler les exploitations ?

• Plutôt de créer de nouvelles vocations, de responsabiliser. Et surtout, de mieux utiliser l’environnement.

• Tu es bien mystérieux, insiste Johanna.

• J’ai encore des choses à vérifier, mais oui, il pourrait bien s’agir d’un mystère à éclaircir. Saurais-tu s’il existe à Chicago des archives historiques ? Je veux dire, des vraies, pas les illusions qu’on a voulu nous faire avaler pendant deux siècles. L’Histoire d’avant, questionne le jeune homme.

• Le Bureau disposait de bases documentaires complètes, et de livres d’histoire, qu’ils ne voulaient pas numériser. Mais y accéder est une autre histoire, répond Johanna d’un air désolé, je verrai si c’est possible. Leurs ressources sont extrêmement protégées.

• Si l’attribution des terres peut être satisfaite en laissant de côté l’Est pour l’instant, c’est ce que je conseillerais, conclut Tobias. Cela me laissera du temps pour chercher les informations qui m’intéressent. Mon ancien voisin était historien, je vais aller voir ma mère pour la main d’œuvre et je verrai s’il peut m’aider, par la même occasion.

***

• Que voulez-vous que je vous lise aujourd’hui, Monsieur Stone ? demande Tris au vieil homme assis sur la banquette à côté de lui.

• Ce que tu voudras, ma jolie. De toute façon, je vais dormir en moins de cinq minutes ! répond Monsieur Stone. Raconte-moi ce qui se passe dehors, je ne me souviens jamais de rien !

Tris sourit. Chaque soir après les cours, elle vient faire un peu de lecture aux plus anciens, Monsieur Stone demande toujours la même chose. Sur sa tablette, la jeune fille tente d’extraire du réseau les comptes-rendus diffusés par la gouvernance et les nouvelles du jour. Après plusieurs essais infructueux, elle fait patienter le vieux monsieur et va demander de l’aide à Donna dans son bureau.

• Donna, pouvez-vous m’aider à comprendre le fonctionnement de cette tablette ? J’ai du mal avec l’informatique.

• Oui, approche, mais tu sais, je n’ai pas de grandes compétences dans ce domaine. Peut-être pourrais-tu solliciter Tobias ? Tu sais, l’informatique est son domaine… suggère Donna.

• Je… je ne veux pas m’imposer à lui, répond Tris en s’approchant du bureau. Je sais qu’il souffre quand il me voit, les mauvais souvenirs lui reviennent. Je ne veux pas qu’il pense que je lui fais du mal volontairement. Je préfère attendre que lui m’approche, s’il le veut. J’aimerais pouvoir comprendre ce qui le liait à Beatrice, mais il est très… je ne sais pas exprimer comment il est, essaie d’expliquer Tris. Je crois qu’il s’enferme dans son corps et sa tête, tente-t-elle.

• On dit « se replier sur soi-même », prononce une voix grave dans son dos. Je suis si terrifiant ?

Tris se retourne brutalement, le cœur emballé et les joues en feu. Tobias est appuyé sur l’encadrement de la porte. Les yeux agrandis de surprise, la jeune fille choisit de garder le silence.

• Apparemment oui, constate Tobias d’un ton mi-amusé, mi-acide. Bonjour Donna.

• Bonjour Tobias, Tris venait me demander de lui expliquer le fonctionnement de sa tablette réseau, explique la directrice en essayant de briser la gêne entre les jeunes gens.

• Je… Tobias, je suis désolée. Caleb m’a déjà dit que je parlais parfois trop franchement, balbutie finalement Tris. Je voulais lire un peu les nouvelles à un pensionnaire et je n’arrivais pas à trouver la bonne source.

• Je préfère ça au mensonge, dit le jeune homme d’un ton le plus rassurant possible. Allons voir ton patient, je vais te montrer où trouver les informations.

La directrice sourit à Tobias puis ce dernier referme la porte derrière la jeune fille. Tris marche devant lui d’un pas rapide vers le coin repos où attend le pensionnaire. Tobias l’interrompt :

• Tris, attends.

Tris s’arrête, plantée au milieu du grand hall, tête baissée et attends la suite. Tobias reste derrière elle et lui dit :

• Je sais que je ne suis pas très avenant.

• Avenant ? murmure-t-elle.

• Ça veut dire gentil, souriant, explique Tobias.

• Oh, je n’ai pas dit ça ! s’insurge Tris, très gênée.

Ses pommettes un peu trop saillantes s’enflamment. La jeune fille est bien heureuse de tourner le dos à son ami à cette minute, pour qu’il ne puisse pas s’en apercevoir.

• Non, c’est moi qui le dis, affirme-t-il. Je ne peux pas nier que j’ai été très réticent à… ton arrivée, même franchement hostile. Je ne peux pas nier non plus que c’est difficile, très difficile pour moi, cette ressemblance parfaite avec Beatrice.

Avec un soupir, l’assistant de Johanna marque une pause. Il sait maintenant chaque détail de la silhouette de Tris, pour l’avoir observée sans pouvoir s’en empêcher. Ses cheveux sont si longs qu’ils effleurent la naissance de ses reins. Mais là, Tris baisse la tête, il en jugerait, ses cheveux sont à peine plus hauts. Ses épaules sont basses, elle semble abattue.

• Tu ne veux vraiment pas te retourner pour qu’on se parle en se regardant ? demande Tobias doucement.

• C’est toi qui ne veut pas me regarder, alors je respecte ce choix, répond Tris plus fermement qu’elle ne l’aurait voulu.

La réponse l’amuse et fait un rien tomber la pression qu’il ressent, Tobias esquisse un sourire :

• Je comprends très bien que tu t’entendes avec Christina, la même franchise toute nue ! Là, c’est moi qui te le demande, s’il te plaît.

• Ça va te faire mal ? demande la jeune fille naïvement.

• Ça me fera toujours mal, mais je ne dois pas fuir indéfiniment, tu n’as pas mérité qu’on te fuie. Tu n’es pas responsable, dit le jeune homme sur un ton conciliant.

• Je ne veux pas te faire mal, insiste Tris.

• Pourtant, j’ai dit « s’il te plaît », raille Tobias.

La jeune femme, effarouchée, se décide à se retourner lentement et à le regarder. Toujours écarlate et les yeux baissés, elle n’ose pas affronter le regard de son interlocuteur. Elle fixe obstinément quelques secondes les lacets de ses baskets noires. Comme aujourd’hui, il est souvent habillé en noir Audacieux. Elle aime le noir. Elle trouve que ça le rend encore plus beau. Cette seule pensée enflamme plus encore ses joues, sans qu’elle puisse le contrôler.

Comme le silence s’alourdit, elle lève les yeux sur son visage. Il n’exprime pas de tension, ni de souffrance. Le visage du jeune homme est ombré d’un rasage délaissé qui brunit ses joues hautes et anguleuses. Ses yeux bleus si foncés fixent les siens en attendant d’accrocher son regard. Ses lèvres charnues esquissent un petit sourire presque moqueur.

• Merci, commente Tobias quand il peut enfin capter ses noisette. Viens allons nous asseoir. Tu sais, les Audacieux devaient, volontairement, affronter leurs peurs pour qu’elles ne les paralysent pas, pour qu’ils apprennent à les surmonter.

• Oui, j’ai vu les paysages de peur de Christina, c’est… effrayant. Tu veux dire que… je te fais peur ? demande Tris incrédule.

• Pas toi, en tant que… fille, bien sûr. Mais ce que tu représentes, ce que les souvenirs que tu me rappelles provoquent chez moi, oui. J’ai du mal à lutter, je le reconnais. Mais je dois affronter cette peur. L’héritage que Beatrice m’a laissé, c’est cet incroyable courage qu’elle avait, elle affrontait tout, jusqu’au déraisonnable, et jusqu’à… y laisser sa vie.

Tout en s’asseyant, Tobias sent sa gorge se serrer à l’évocation de la disparition de sa compagne. Il baisse les yeux le temps de contrôler son émotion, et il poursuit :

• Je l’avoue, j’étais fou de rage quand Caleb m’a appris ton existence. Je ne voulais juste… plus souffrir. Mais en réalité, c’est impossible. Alors, Tris, vis, sans t’occuper de ce que je peux ressentir, car tu es libre, et je n’ai pas à régenter ta façon de te comporter. A moi de m’adapter… ou de m’éloigner, si je n’y arrive pas.

• Je ne veux pas que ça arrive, je ne suis personne. Toi tu es quelqu’un ici, tu es au gouvernement, tu as des amis depuis longtemps.

• Beatrice a dit ça aussi, un jour, et elle a sauvé toute la communauté d’une dictature, la vie de centaines de personnes, dont la mienne, réplique Tobias avec un petit sourire triste. Chaque vie a autant de valeur qu’une autre. Mais Beatrice avait… un destin, grand et cruel.

• Tu penses que j’en ai un aussi ? demande la jeune fille avec inquiétude.

• Je n’en sais rien. J’espère juste que tu ne seras pas exploitée. Ce que je voulais te dire, c’est de ne pas agir en fonction de ce que je pourrais penser. Ni même de ce que les autres pensent ou attendent de toi.

• Je ne peux pas faire ça, Tobias. Mes parents sont morts, Beatrice n’avait plus que quelques amis, Caleb et… toi. Vous étiez sa famille. La mienne maintenant… Tu es un élément de ce passé bizarre, qui est le mien, mais que je n’ai pas vécu.

Tout en approuvant silencieusement ses paroles, Tobias soupire en fermant les yeux.

• Je fais mon possible pour me faire à la situation, j’essaie vraiment, Tris. Je n’ai a priori rien contre toi, tu le sais, n’est-ce-pas ?

• Oui, je crois, répond la jeune fille.

• Bien. On ne peut pas s’obliger à avoir des sentiments pour les gens, même si on le souhaite, tu comprends ?

• Je ne sais pas très bien ce que c’est, les sentiments. Je sais que je suis bien avec certaines personnes, j’essaie d’analyser tout ce que je ressens pour comprendre les mots que j’ai appris. Les simulations avec Christina et Caleb m’ont aidée à ça.

• Les sentiments, si ça peut te rassurer, c’est le même mystère pour tout le monde. Personne ne sait vraiment ce que ça veut dire, comment les décrire, tant qu’on ne les a pas ressentis. Et même après… Il est très difficile de lutter contre eux, bons ou mauvais.

• Donc, on ne peut pas non plus s’empêcher d’en ressentir, déduit la sœur de Beatrice avec logique.

Intrigué, Tobias réfléchit une seconde. Il lui répond presque à contrecœur :

• C’est vrai dans ce sens là aussi, oui.

• Est-ce que tu penses que, malgré mon… origine, je peux ressentir aussi des sentiments ?

• Je ne suis pas un biologiste, mais je t’ai vue avoir peur, être intimidée, joyeuse aussi. Pourquoi ne pourrais-tu pas ressentir aussi le reste ?

• J’aimerais tant, soupire Tris

• Les sentiments n’apportent pas que du bonheur, crois-moi, objecte le jeune Audacieux d’un ton acide.

• Tobias, tu sais, la vie m’a offert un cadeau unique. Tout m’émerveille. Même les choses horribles que j’ai vues dans la tête de Caleb, ont permis à des gens comme toi et Beatrice, de faire le bien. J’ai senti la tristesse, le chagrin de Caleb, de Christina, mais même ça, je suis heureuse de le connaître, le bonheur d’être triste car c’est la preuve que je vis.

• En prendre conscience, et le ressentir, ce n’est pas pareil, Tris, corrige le jeune homme.

• Je l’ai ressenti, Tobias, affirme-t-elle. Toutes ces choses, la peur, l’amour de mes parents, la trahison de Caleb, la haine aussi, tout.

• Comment ça ?

• Je ne sais pas comment te dire. Quand Caleb et Christina ont partagé leurs souvenirs, c’est devenu mes souvenirs aussi, comme si j’avais été avec eux à ces moments-là moi aussi. Je rêve de ces situations, comme si j’y avais assisté.

A ces mots, Tobias regarde intensément Tris, les sourcils froncés, guettant la vérité dans ses yeux. Se pourrait-il que ce soit vrai ? Que son clonage se poursuive encore avec ces fusions de mémoire ? Les coudes sur les genoux, Tobias fouille dans son esprit pour y trouver la conduite à tenir, en vain. Jusqu’à quel point Beatrice et Tris sont-elles semblables ?

• Tobias, je suis très heureuse que nous ayons pu parler, mais je ne veux pas te blesser, lui dit-elle en posant doucement ses doigts sur son bras.

Soudain figé, Tobias se contient pour ne pas se soustraire violemment à ce contact, qu’il refuse de comparer aux gestes d’affection de son amour disparu. Personne d’autre n’a le droit ! Mais Tris sent immédiatement sa tension et retire sa main. Le jeune homme se force et sourit tristement, en secouant la tête.

• Désolé, dit-il.

• Ce n’est rien, assure la jeune fille. Je n’aurais pas dû, ça aussi c’est un défaut...

Un silence s’installe entre les jeunes gens, chacun perdu dans ses pensées, ses souvenirs et ses paradoxes. A quelques mètres d’eux, Monsieur Stone dort depuis longtemps, la tête affaissée sur sa poitrine. Tris se lève pour aller l’installer plus confortablement contre un coussin. En revenant, elle prend un ton plus léger pour s’adresser à son ami :

• Mon pensionnaire s’est endormi ! Mais si tu veux bien m’aider à contrôler cette tablette, je saurai comment lui faire la lecture la prochaine fois !

Tobias sourit avec une mélancolie mêlée de reconnaissance : sa Tris aussi savait changer de sujet pour qu’il ne ressasse pas ses idées noires. Cela lui rappelle le moment où elle lui avait demandé de lui montrer son tatouage. Il montre patiemment à Tris comment extraire les articles classés dans la mémoire réseau, intuitivement, avec de simples mots clés. La jeune fille, très concentrée, observe chaque geste et écoute chaque consigne. Elle ne pense plus au jeune homme, absorbée par la démonstration. Tobias lui demande :

• Ça ira ? Tu veux que je recommence ?

Sans un mot, Tris prend doucement la tablette. Elle glisse ses doigts sur les écrans virtuels, tapote et agrandit l’image. En quelques secondes, le dernier rapport environnemental de la gouvernance est affiché, vert et brillant, en trois dimensions devant elle. Une telle aisance, sans erreur… Sidéré, l’instructeur lui demande presque agacé :

• Tu savais t’en servir avant ? Pourquoi m’as-tu sollicité alors ?

• Non, je te promets. Matthew dit que j’ai une mémoire absolue. Je retiens ce qu’on me dit sans avoir besoin de répéter. Il pense que c’est à cause des informations qu’on m’a diffusées pendant… mon sommeil, constamment, ça a forcé ma mémoire à travailler efficacement.

• Le rêve de tous les étudiants… commente l’informaticien, avec un léger soupçon. Il dit quoi d’autre, ton psy ?

• Il reconstitue un… génogramme pour moi je crois, répond Tris.

• Un génogramme ? s’étonne le jeune homme, sans comprendre.

• La liste de mes ancêtres, mais pas seulement leur nom. Leur personnalité, leurs actions, leurs faiblesses, maladies, etc. Il pense que certaines personnes d’une même famille peuvent avoir un esprit collectif à travers le temps. Une mémoire à travers les générations. Il m’aide à reconstituer mon histoire. Enfin, si possible.

• Il rencontre des difficultés ? questionne Tobias.

• Oui, il cherche aussi au Bureau, il a récupéré des… patchs mémoriels je crois. Mais certains sont bloqués, et il lui manque des informations.

• Ah ? Lesquelles ?

• Je ne veux pas te le dire, dit fermement Tris.

La réponse claque comme une gifle. Tobias, surpris, lève les sourcils, de nouveau sur la défensive.

• Désolé, je ne voulais pas être indiscret, je vais te laisser tranquille, dit-il en cherchant à s’éloigner.

• Non attends ! Tobias, je… désolée, j’ai encore été maladroite. Ce n’est pas un secret, mais… je ne veux pas encore te faire mal, s’excuse Tris en se levant à son tour.

• Me faire mal ? En quoi cela me concerne ?

• Je… c’est difficile… C’est toi qui a les informations qui lui manquent. Je ne voulais pas t’en parler pour ne pas que tu te sentes obligé…, explique Tris en croisant ses doigts pour se donner une contenance.

Soudain crispé, Tobias ferme les yeux un instant. Evidemment. Il avait presque oublié que Caleb l’avait déjà prié de les aider.

• Je ne sais pas, Tris. C’est… comme me jeter dans un feu une deuxième fois.

• Je le sais, c’est ce que je voulais dire quand je ne voulais pas répondre à ta question. Il trouvera un autre moyen, j’en suis sûre.

• Non, affirme Tobias.

Tris le regarde avec surprise. Le jeune homme, ses sourcils épais à nouveau froncés, termine :

• Ce que ta sœur et moi avons partagé, je ne pense pas que quiconque puisse le comprendre, encore moins mettre des mots ou une simulation dessus. Nous-mêmes, des fois, nous ne le comprenions pas.

• Quand Beatrice t’apercevait, murmure la sœur de Beatrice en ignorant le pessimisme de son ami debout devant elle, il y avait soudain plus de lumière dans la pièce, ma sœur… s’illuminait, même dans la tristesse et le chaos que vous traversiez. Quand tu l’embrassais, son énergie sortait de son corps et vous enveloppait tous les deux, comme un feu invisible.

Tobias relève la tête qu’il maintenait baissée, stupéfait et méfiant à la fois :

• Qui t’a dit ces choses-là ? demande le petit ami de Beatrice d’un ton sec en se rasseyant, comme abasourdi.

• Oh pardon, Tobias, j’ai encore parlé trop vite ! Personne ne me l’a dit. Je vous ai vus, des fois, dans les souvenirs de Christina, en communion mémorielle avec elle, explique Tris. Je voyais ce que voyait Christina, mais comme ça, je ressentais aussi. Elle regardait Beatrice ou toi, et quand tu apparaissais près d’elle, tout devenait plus lumineux.

La jeune fille s’assied à nouveau près de Tobias, qui soudain courbe le dos et s’affaisse sur ses coudes. Devant le silence lourd du jeune homme, elle ferme les yeux pour mieux se concentrer, et reprend :

• J’ai vu la lumière autour d’elle gonfler, s’étendre et t’entourer aussi. C’était… merveilleux. Si beau ! Il n’y avait plus deux… auras je crois, il n’y en avait qu’une. D’une nouvelle couleur, différente de la vôtre.

Les mains devant elle et les yeux clos, Tris mime avec de petits mouvements lents la forme du halo qu’elle perçoit dans son souvenir. Ses mains sont belles et soignées, pas rudes et écorchées par les combats comme celles de sa défunte sœur. Près d’elle, son ami, étranglé d’émotion, la regarde mimer des bras son émerveillement, fouiller sa mémoire, chercher ses mots pour décrire l’indescriptible. Elle sourit à son rêve, à l’évocation de ces moments de félicité.

• Et quand tu étais inquiet, parfois tu émettais comme un bouclier bleuté, rond, dit-en en mimant un gros ballon. Les énergies négatives autour d’elle étaient renvoyées, ça la protégeait.

Tris rouvre les yeux, et regarde ceux de Tobias, sombres, profonds, arrondis et embués, qui la fixent. Ceux de la jeune femme, en amande, semblent refléter la paix et la vérité. Il entend à peine le souffle sortir de son nez, un peu pointu, comme Beatrice. Sa bouche aux lèvres pleines lui fait penser à une madeleine. Comme Beatrice… Il cligne des yeux pour sortir de son rêve éveillé.

• Tris, je ne sais pas ce que tu as vu, articule-t-il lentement pour ne pas que débordent les larmes qu’il retient à grand peine, mais tu as dit ce que nous ressentions. Je ne sais même pas si nous arrivions à mettre ces mots dessus. Jamais je n’ai entendu quelque chose de plus beau, et de plus juste.

• Est-ce que c’est ça l’effet de l’amour ? demande-t-elle avec candeur.

• C’est plus que ça encore, lui répond-il doucement, avec un sourire triste.

Puis Tobias se lève, la salue d’un dernier sourire fugace et s’éloigne. Il peut enfin laisser ses mâchoires lâcher l’intérieur de ses joues et permettre à ses larmes de mouiller son visage.