Fanfiction Divergente 4 - Résurgence, Chapitre 26
CHAPITRE VINGT-SIX
Deux jours déjà que l’équipe a repris un entraînement physique intensif. Courageux, Mark peine mais fait preuve de constance et de persévérance. Le test n’aurait sans doute pas révélé un Audacieux en lui, mais il s’est soumis avec bonne volonté à cet entraînement. Il se dit que chacun peut avoir des compétences à transmettre et que ce sera peut-être bientôt son tour.
Pendant que son équipe s’entraîne ce matin, Tobias honore un rendez-vous à la gouvernance avec Johanna. La réunion avec l’ingénieur mécanicien pour la présentation des améliorations de l’Hovercraft a lieu l’après-midi, en présence de l’équipe. Pour l’heure, il frappe à la porte de son bureau et entre. Johanna l’accueille courtoisement d’un sourire et attend qu’il prenne place en face d’elle.
Tobias, vous allez, ton équipe et toi, vous lancer dans une expédition vers l’inconnu. Je voudrais te confier ceci.
Johanna pose sur son bureau un coffret fermé par un code. Elle le compose et l’ouvre. A l’intérieur de la boîte, dix flacons vissés en verre, répartis dans cinq compartiments et perpendiculairement, un pistolet d’injection. Deux flacons vissés contenant chacun un liquide coloré reposent dans chacun des compartiments. Un symbole de chaque faction est gravé à l’intérieur de chaque compartiment.
Des sérums ? demande Tobias interdit.
Oui, et un pistolet d’injection. Tu sais leur usage et leur puissance. Tu disposes de deux flacons de chaque sérum, et tu sais leur composition. Tu connais le dosage de chacun, n’est-ce-pas ?
Tobias acquiesce. Dans le compartiment gravé à l’effigie des Audacieux, deux flacons de sérum de Simulation. Dans le suivant, deux flacons de sérum d’Oubli recouvrent le symbole des Altruistes. Deux autres flacons, remplis de sérum de Vérité, couvrent le symbole des Sincères. Deux dissimulent à peine le symbole des Fraternels, le sérum de Paix. Et enfin, dans le dernier compartiment, deux flacons de sérum létal recouvrent le symbole des Erudits.
Comme tu peux le voir, des colorants associés aux tenues vestimentaires des factions ont été ajoutés aux sérums, afin qu’aucune confusion ne soit possible. Transparent pour le sérum de Vérité, orange pour le sérum de Paix, noir pour le sérum de Simulation, gris pour le sérum d’Oubli, et… bleu, pour le sérum de Mort.
Pourquoi me donner ça ? s’étonne Tobias, contracté.
Personne ne sait ce que vous allez rencontrer sur votre chemin. Mémorise bien ces couleurs, pour que tu ne puisses pas les mélanger. Tu n’auras que ce repère s’ils ne sont plus dans leur casier. Tu dois impérativement garder secrète la détention de ce coffret. Il est étanche et sera dissimulé sur l’Hovercraft à un endroit que tu choisiras et seras seul à connaître.
Je ne veux pas, je…
Je n’autoriserai pas le départ si tu n’emportes pas ces sérums, Tobias. Je veux que tu disposes de toutes les défenses possibles, coupe Johanna. Change le code tout de suite.
Tobias n’insiste pas. Malgré sa méfiance naturelle, la mesure imposée par Johanna ne lui plaît pas. Il réinitialise le code et en programme un nouveau.
George te fournira les armes que tu souhaiteras, ainsi que les tenues les plus adaptées. Je lui ai donné des consignes en ce sens. Tous les détails seront récapitulés cet après-midi.
Une fois son devoir accompli, Johanna se recule contre le dossier de son fauteuil et se met à observer Tobias. Elle enfile de nouveau son costume de grande amie.
Tu as l’air mieux, Tobias, je me trompe ?
Le jeune homme la regarde avec étonnement, puis comprend qu’il parle de sa perception de Tris. Il lui sourit.
Oui, mieux. Bien mieux, même.
Tris… C’est une jeune fille incroyable, commente Johanna.
Incroyable… répète Tobias.
Votre cohabitation… se passe bien ?
Nous… sommes ensemble, depuis quelques temps, avoue le jeune homme, un petit sourire en coin.
Il me semblait que vous vous étiez rapprochés, confirme Johanna. J’en suis très heureuse pour vous deux.
Tobias sourit plus franchement à son amie. Il ne tient pas à s’épancher, il ne saurait même pas quoi dire, ni comment décrire leur relation un peu bizarre. L’éducation qu’il a reçue n’a pas fait de lui un orateur, et encore moins un confident de ses sentiments.
Tris m’a… apaisé, oui, dit-il simplement.
Compréhensive, Johanna approuve d’un signe de tête. Tobias se lève, va lui faire une bise sur la joue et se dirige vers la porte de son bureau.
Tobias ?
Le jeune homme s’arrête et se retourne.
Ne tombe surtout pas dans l’excès inverse, en considérant Tris comme une bouée de sauvetage, recommande la dirigeante d’une voix douce. C’est un être humain, sans doute plus fragile encore que Beatrice.
Tobias aurait pu se sentir vexé de cette suspicion de la part de Johanna, mais il sait que, depuis le début, elle s’est comportée avec lui et Beatrice, puis maintenant avec Tris, comme la mère qu’ils n’avaient plus.
Plutôt mourir que faire ça. Tris n’est pas un être humain, c’est l’Humanité toute entière, dit-il d’une voix grave, avant de quitter le bureau en refermant doucement la porte derrière lui.
***
L’Hovercraft ne sera pas prêt avant un bon mois, explique l’ingénieur. Mais les plans sont presque finis. L’aéroglisseur de secours, le plus grand, sera réaménagé. Tout le matériel médical et le superflu sera retiré.
Il s’assure d’avoir l’attention de l’assistance. Autour de la table du conseil, comme à son habitude, Peter est négligemment enfoncé dans sa chaise, une cheville posée sur le genou de son autre jambe, et les mains croisées derrière la tête. Mark est assis non loin de Christina, prêt à bondir si la moindre mouche venait déranger sa chère hôte. Tris s’amuse de le voir ainsi transi d’amour pour son amie, mais le plaint. Son amie n’est pas tendre avec lui et le rabroue régulièrement, y prenant, Tris en est sûre, une sorte de malin plaisir. De bonne composition, Mark accepte les facéties de son hôte avec une patience d’ange.
Tobias est assis avec décontraction sur son siège, ses bras posés sur les dossiers des sièges voisins. Sur l’un d’eux, Tris suit avec une concentration presque exagérée les explications du scientifique. Tobias promène ses doigts, recouverts par la chevelure de Tris, distraitement sur son épaule sans quitter l’écran en trois dimensions des yeux. Il n’en a pas parlé à qui que ce soit, mais si les conditions de ce voyage ne lui semblent pas suffisamment sécurisantes, il annulera la mission.
Johanna, en retrait, observe tout autant les explications que les membres de l’équipe. L’image en 3D de l’Hovercraft s’affiche à l’écran.
Tout l’espace disponible sur les bords, sur les quatre cotés, sera recouvert de panneaux solaires mixtes, c’est-à-dire à la fois thermiques et photovoltaïques, détaille le scientifique en pointant les panneaux noirs quadrillés disposés sur tout le pourtour du véhicule.
Quel intérêt d’avoir les deux ? demande Tobias.
Le solaire thermique est destiné à produire de l’eau chaude au fur et à mesure, jusqu’à soixante degrés. Cette eau vous servira pour l’alimentation et la toilette, tant que vous serez sur l’eau, à moins que vous ne vouliez profiter de l’eau du lac à la place…
Devant le nez froncé notamment des filles, Mark lève les yeux au ciel, mais l’ingénieur poursuit, en s’adressant surtout aux hommes :
Le photovoltaïque produit de l’électricité. Ce courant alimente déjà des batteries situées sous la jupe et qui font tourner les hélices pour propulser l’Hovercraft.
Pas de soleil, pas d’hélice alors, grimace Christina.
L’ingénieur montre à l’équipe l’animation qu’il a préparée pour leur expliquer le fonctionnement des panneaux.
Même sans soleil, la lumière traverse les nuages, c’est l’intérêt du photovoltaïque, il capte la lumière, et non la chaleur du soleil. Par contre, par temps couvert, l’eau chaude ne sera pas renouvelée. Il faudra aussi que vous rechargiez de l’eau, à Milwaukee, ou à une source si elle est pure. Vous disposez d’un filtre qui épurera grossièrement une eau de source par exemple. Tous les panneaux pourront être orientés vers le soleil par des pistons hydrauliques sur chaque côté de chaque panneau, afin d’optimiser l’énergie. L’Hovercraft fait dix mètres sur six. Il y aura donc un peu plus de vingt mètres carrés de panneaux, ça devrait être suffisant pour propulser l’engin, mais à des vitesses moins élevées qu’un engin à moteur thermique.
Quelle vitesse maxi ? demande Peter.
Quatre-vingts kilomètres heure maximum si le vent n’est pas de face, précise l’ingénieur. Les panneaux sont lourds, ils ralentissent la vitesse de pointe. Les hélices sont assez bruyantes, n’espérez pas arriver par surprise où que ce soit. Vous pourrez mettre des bouchons d’oreille pour vous reposer du bruit. Vous serez formés à la conduite de l’engin, c’est assez simple.
Et l’autonomie ? intervient Mark qui n’a pas ouvert la bouche depuis le début.
C’est le point faible. Environ quatre heures.
C’est peu ! déplore Tobias. Cela nous obligera à faire le trajet en plusieurs jours.
Naturellement, l’Hovercraft flotte, même à l’arrêt.
L’ingénieur change les images et affiche le centre du véhicule, entouré de boudins de caoutchouc gris cylindriques.
Au centre de ce carré, ce sera votre place et lieu de vie… reprend le scientifique.
La Fosse, quoi, interrompt Christina le sourire aux lèvres.
La Fosse ? interroge l’ingénieur.
La Fosse était le nom du centre de vie des Audacieux, explique Tobias.
L’ingénieur, manifestement issu des Erudits, semble soudain s’apercevoir qu’il est entouré de soldats, potentiellement dangereux. Il jette un œil furtif aux tatouages en forme de manchettes sur les avant-bras de Peter, à ceux qui ornent le dessous des bras de Christina, et aperçoit les fins traits qui dépassent du tee-shirt de Tobias. Son visage affiche une soudaine inquiétude comme si l’efficacité de sa démonstration était la condition de sa sortie en vie de la salle du conseil. La vision de son visage est si cocasse que Tris et Christina pouffent. Johanna les invite au sérieux par un regard aussi réprobateur que maternel.
Le conférencier s’éclaircit la voix et préfère se concentrer sur son exposé que trop penser aux aptitudes guerrières de son auditoire.
Donc, au centre des boudins, se trouvera l’endroit où vous vous tiendrez. Le sol est entièrement recouvert de boîtes plates, que vous pourrez ouvrir et fermer à volonté, sans que cela prenne de place sur votre espace vital, puisqu’elles seront sous vos pieds. Elles sont fixées et étanches aussi. Vous pourrez y ranger vos affaires. Elles font environ trente centimètres de profondeur. Il y en a douze. Le carénage de l’Hovercraft a été retiré pour alléger la structure. Donc, en cas d’intempéries, ce qui est probable, puisque le mois le mai est l’un des plus pluvieux de l’année, c’est une bâche rétractable qui sera rabattue par des vérins par-dessus votre espace. Les côtés de la bâche sont transparents pour pouvoir continuer à voir l’environnement et avancer. Mais vous n’aurez qu’un mètre de hauteur sous la bâche, soit une posture à genoux, pour ne pas entraver l’aérodynamisme.
L’ingénieur se retourne et regarde alternativement chaque membre de l’équipe. Leur sagesse pendant ses explications ne le rassure qu’à moitié. Et il ne remarque pas la tension que Tobias dissimule, à l’évocation de cette boîte de conserve fermée dans laquelle ils devront s’enfermer en cas d’intempéries.
Vous parliez d’eau chaude et de sanitaires ? demande Tris. Vous pouvez développer ?
L’ingénieur lève lui aussi les yeux au ciel :
Ah oui, la « salle de bain des dames »… L’un des panneaux solaires sur le pourtour ne peut pas pivoter comme les autres, mais il se soulève en pivotant sur une charnière et détend une petite toile pour former une sorte de tente. Un petit local est aménagé ici, pas plus de hauteur sous bâche qu’au centre. Un accès à l’eau chaude et un… vase. Le vase peut être purgé automatiquement à terre à l’aide d’une sorte de chignole foreuse rétractable fixée sous l’Hovercraft, et qui enterre le contenu.
Vous croyez que les poissons sortent de l’eau pour ça, Doc ? ironise Peter.
Tris le fusille du regard :
Et c’est avec une eau polluée que tu veux que les Fraternels arrosent la salade de ton hamburger ? Les Hommes ont tellement pollué leur rivière à Chicago avant la Grande Paix qu’ils ont dû en détourner le cours pour préserver autant que possible le lac. Ce lac ne renouvelle son eau que tous les cent ans, c’est très lent, il ne peut pas se protéger lui-même contre les excès humains ! Il ne faut plus refaire les mêmes erreurs !
Tobias essaie de calmer Tris en pressant doucement sa nuque dans sa main, la jeune fille a bien du mal à supporter les remarques acides de Peter et à dominer sa rancœur.
Pleure pas, Pète-Sec, ce lac t’a ! Il est sauvé ! Des chiottes communes, mmmh voilà qui me rappelle des souvenirs !
Tris sent l’énervement lui remonter du ventre à la gorge, elle aimerait casser quelques dents à cet insupportable pédant. Tobias sent la crispation de sa compagne, il caresse son trapèze doucement pour lui intimer le calme.
Silencieusement scandalisé, l’ingénieur dévisage les ex-Audacieux comme s’ils étaient des hommes des cavernes, déclenchant l’hilarité de Tobias, Christina, et même Peter. Tris se déride finalement aussi et sourit. Même si elle a vu le dortoir, ce souvenir n’est pas vraiment le sien. Elle se rend compte de ce qui lie les trois amis : ce sentiment fort d’appartenance, même ponctué de tensions et d’affrontements, qu’a développé l’initiation des novices Audacieux entre eux. Une initiation rigide, brutale, terrifiante, mortelle même, mais qui est, aujourd’hui, pour eux, un refuge, un souvenir avec ses bons côtés aussi. Elle a même réussi à réunir des ennemis dans le rire. Un esprit de groupe accentué par les tatouages que tous les Audacieux arborent plus ou moins ostensiblement. La compétition entre les novices a eu des travers terribles et inhumains pour ceux qui n’ont pas pu en supporter la rigueur. Mais elle a aiguisé, affûté, noué, indéfectiblement lié aussi, ceux qui s’en sont sortis. Tris envie cette motivation. D’une certaine façon, malgré les horreurs qu’elle a apprises sur certaines de leurs pratiques, de leurs actions, elle envie les Audacieux, les vrais, ceux du temps des factions.
D’autres questions ? glisse l’ingénieur en souhaitant qu’il n’y en ait pas.
Combien de temps pour apprendre à piloter cet engin ? s’enquiert Tobias.
Une demi-journée devrait suffire, répond-il. Puis une ou deux journées supplémentaires pour vous entraîner.
Bien. Nous profiterons de l’exploration du mur et du séjour dans la Marge pour discuter et définir le paquetage qui sera embarqué. Chacun peut y réfléchir d’ici là. Merci pour votre présentation, dit Tobias en s’adressant d’abord à ses coéquipiers, puis à l’ingénieur.
Johanna le remercie également chaleureusement, et le scientifique ne perd pas une seconde pour éteindre son ordinateur, et sortir avec sous le bras d’un pas plus précipité que nécessaire. En sortant, il jette un regard d’incompréhension aux jeunes gens qu’il assimile à des têtes brûlées suicidaires.
Merci à tous, lance Tobias, on se voit à l’orphelinat demain après-midi pour préparer la sortie vers le mur. Demain matin, entraînement au siège des Audacieux.
L’équipe se lève et se disperse à la sortie du bâtiment. Une fois qu’ils se retrouvent seuls, Tris annonce à Tobias :
Je n’irai pas à l’entraînement demain matin, si c’est possible.
Tu veux te reposer un peu ?
Tris sourit au réflexe protecteur de son petit ami.
Non, je veux un tatouage.